Emma Seferian


Susan Saxe, Histery/Hystoire (traduction)

Vues d’atelier, janvier 2023.



Vues d’atelier, 6 décembre 2022.



Vues d’ateliers, 21 novembre 2022


Capture écran du compte Instagram de @freeze_magazine


Sans titre


Rodin, la porte des enfers


Sara Rahbar, Flag #30, Between us and the breeze, 2008


Table ronde Dénoyauter les politiques natalistes pour des familles cyborgs Par La Satellite Bruxelles.


Thomas Schütte, Fake flag, détail


Trames d’Arménie, tapis et broderies sur les chemins de l’exil, 1900-1940


Canon Table Page T’oros Roslin


Four gospels in armenia XVe


Kalamkari Hanging with Figures in an Architectural Setting


La plage de Saint-Clair, Henri-Edmond Cross


Monet, Cité momes


October in Yerevan, Martiros Sarian


Project « Aragil », designed by students at Faculty of Design at NUACA


Sayat Nova – La couleur de la grenade, Serguei Paradjanov


Amours, marguerites et troubadours
Du 17 février au 20 mai 2023 à Passerelle Centre d’art contemporain, Brest
Vues d’ensemble,  © photo : Aurélien Mole, 2023


Elle fut la sienne, la notre un instant (1 ; 2 et 3), 2022
pigments, pastels, feuilles d’or, tissus, acrylique sur toile, 192x132cm, © photo : Aurélien Mole


Sémiophore (1), 2022
céramique, dimensions variables, © photo : Aurélien Mole


Au coeur du ciel obscure / Brille la lampe inextinguible, 2023
laine, tissus, 253x174cm, © photo : Aurélien Mole

Vues de l’exposition Amours, marguerites et troubadours à Passerelle Centre d’art contemporain, Brest.
Photo : Aurélien Mole.

C’est dans une atmosphère chatoyante, bienveillante et joyeuse qu’Emma Seferian a fait le choix d’accueillir le.la visiteu.r.se. Le titre, Amours, marguerites et troubadours, évoque l’épisode final de la saison une de la série télévisée Gilmore Girls qui raconte la relation d’une mère célibataire avec sa fille. Cette cellule familiale monoparentale et la question de l’émancipation des parents ont particulièrement interpellé l’artiste dans cette série feel-good – qui met de bonne humeur. Les mots assez vagues du titre sont autant d’indices sur les orientations d’Emma Seferian. Les amours amicaux, amoureux ou encore familiaux se retrouvent au cœur de l’exposition tout autant que les enjeux de l’art dit « décoratif » et la musique comme moyen de communication.

D’une part, Emma Seferian met en jeu la notion d’héritage culturel, notamment matriarcal. Elle utilise des gestes et des techniques assignés aux femmes dont la tapisserie, le canevas ou la broderie en questionnant leurs usages et leurs histoires. Si auparavant ces travaux étaient utilitaires et fonctionnels, aujourd’hui, ces procédés ont basculé dans le champ du loisir créatif, de la mode.
D’autre part, Emma Seferian malmène les fonctions des objets et modifient les caractéristiques que l’on leur attribue : le tapis devient mural, des objets chinés intègrent des œuvres tandis que du fer forgé rustique gagne en légèreté et élégance. En récupérant ces rebuts et objets du quotidien, elle tente de rapprocher l’art d’un intime qui lui est propre mais vise l’universel.

Ce n’est donc pas un hasard si les ornementations et les techniques qu’Emma Seferian emploient sont liées à son histoire personnelle. Elle s’inspire notamment de l’art traditionnel d’Arménie, un pays charnière, bercé d’influences perses, asiatiques et occidentales, dont sa famille est originaire. Elle a observé et étudié des manuscrits enluminés du XVe siècle et plus tardifs, produits par des monastères arméniens, piochant des détails de peintures et les intégrant aux siennes, à ses œuvres textiles et ses assemblages. Certaines images chrétiennes de la Renaissance l’ont particulièrement marqué, comme les représentations de Saint Matthieu en train d’écrire dans des paysages urbains souvent confus, des perspectives loupées, mêlant intérieur et extérieur. Emma Seferian reprend ces scènes en effaçant le personnage, créant une série de trois peintures étranges mais chaleureuses où le décor vide devient le sujet unique de l’œuvre. Symboliquement, la religion est remplacée par l’intimité, dans une sensation de bien-être et d’apaisement. Car l’un des grands objectifs de l’artiste réside en cette recherche de sentiments de confort et de plaisir que l’on trouverait face aux œuvres d’art.

La bande sonore diffusée dans l’exposition rappelle le mot « troubadour » du titre et la relation à la musique – Emma Seferian est également DJ – mais surtout renforce cette quête d’une plénitude.

Loic Le Gall

Emma Seferian, la promesse des fleurs

“Toute sorte de biens comblera nos familles,
La moisson de nos champs lassera les faucilles,
Et les fruits passeront la promesse des fleurs.”
Malherbe, “Prière pour le roi allant en limousin”

Roses, marguerites et mimosa parsèment l’exposition. Les fleurs au propre comme au figuré, depuis le titre jusque dans les vases donnent des couleurs, suggèrent une odeur. Emma Seferian qui avait dans ses précédents travaux abordé le thème de la domesticité crée d’emblée ici le sentiment d’une familiarité. Il y a Face au miroir, cette treille-porte manteaux à l’entrée, où un miroir vient dédoubler l’espace d’exposition qui crée le trouble. Il y a Pour fleurir, ce guéridon et ces napperons autour desquels l’on tourne avec ce sentiment de les avoir déjà vu. Il y a Les lustres qui éclairent, ces chandeliers un peu bringueballant qui à défaut d’apporter la lumière participent au décor. En mixant des éléments d’un mobilier générique trouvé aux encombrants, l’artiste joue sur le déjà-vu, des images d’un intérieur daté qu’à défaut d’avoir vécu nous pouvons nous représenter par différentes représentations. Au travers de quelques gestes, de peinture ou d’assemblage, elle déplace des objets communs et transforme un landau en fer forgé en une cage ou réemploi un lutrin du même métal pour offrir aux visiteurs la partition de “Amours, marguerites et troubadours”.

Emma Seferian est DJ et sa pratique du son influence plus largement toute sa pratique. Bien sûr la bande son qui baigne l’espace d’exposition en est la manifestation la plus concrète. Elle installe une ambiance, au sens phénoménologique que Bruce Bégout explicite dans son ouvrage Le concept d’ambiance1 c’est-à-dire une présence diffuse autant qu’un attrait affectif. Les voix que nous entendons, sans nécessairement pouvoir discerner ou écouter ce qu’elles ont à nous dire, recréent l’entourage de l’artiste. Les voix familiales ou amicales qui entonnent une chanson traditionnelle, déclament un poème d’aujourd’hui ou revisitent une balade pop en lalala influent sur l’espace que découvre le visiteur. L’espace, sans pour autant reconstituer littéralement un domicile, recrée l’atmosphère d’un foyer. L’artiste, par touches de couleurs, autant que par nappes sonores installe quelque chose qui excède la vision, une aura. Les objets rayonnent ; les jeux d’échos entre les formes installent une profondeur et les jeux de relations entre l’artiste et sa communauté créent un réseau. Au vernissage, c’est une amie de l’artiste qui assurait le concert et ces invitations réciproques qui poursuivent un apprentissage mutuel, des ponts entre les pratiques des unes et des autres sont tout sauf anodines.

Le travail de correspondance crée des lieux ou plutôt des intervalles qui peuvent être habités. Plus qu’un ready-made, Filles du vent est ainsi un condensé d’histoire familiale. La trame de ce canevas, somme toute classique et prédéterminée, trouve sa valeur dans les échanges qu’il a généré entre Lucie, Marie et Sylvie ; de la France où il a été acheté et commencé au Liban où il a été terminé. Exposé à présent à Brest, ce sont les quelques lignes d’explications de la main de la soeur de l’artiste qui l’installent de plein pied dans l’exposition ; une entreprise de dévoilement familiale comme bien sûr on en a vu depuis Sophie Calle, mais avec le tremblement d’une écriture manuscrite. Emma Seferian ainsi semble-t-il qu’une nouvelle génération d’artistes, se réapproprie le concept de mythologie personnelle qui s’est développé dans les années 1970 pour évoquer l’imagerie d’une famille de la diaspora arménienne. Le canevas Prisons de roses, accroché comme un pendant, est cette fois de la main de l’artiste. On y retrouve des références visuelle qui font penser au peintre Martiros Sarian dont la toile Octobre à Yerevan (1961) est citée comme référence par Emma Seferian. Dans cette toile qui montre en face d’un paysage montagneux archétypal de l’Arménie de nombreux fruits, on reconnaît les grenades, symbole de résurrection et de vie éternelle que l’on retrouve ensuite à différents endroits de l’exposition, au croisement d’autres références.

Les oeuvres La couleur de la grenade (Hommage à Parajdanov) et Que pleure donc Sayat Nova sont ainsi très clairement des clins d’œil. Le film Sayat Nova – La couleur de la grenade agit comme un révélateur pour Emma Seferian qui cherche à renouer avec la culture arménienne de sa famille. Son réalisateur, le soviétique d’origine arménienne, Sergueï Paradjanov mêle les influences dans ce film qui se veut une évocation libre du poète et troubadour Sayat Nova. Il crée des images fortes, en puisant dans un vocabulaire iconographique traditionnel qui lui vaudra la reconnaissance des cinéphiles du monde entier et les foudres du parti communiste soviétique. L’artiste poursuit ce travail de métissage en allant chercher des motifs dans les enluminures de bibles arménienne comme on le voit dans les céramiques des Sémiophores sans craindre de de créer des frictions avec d’autres objets comme une planche de skateboard pour Les oiseaux du ciel (skate bird). Ces œuvres inspirées des marges définissent ainsi les bordures d’un espace intérieur, des seuils qui nous permettent de passer d’une culture à une autre.

Répartis dans l’espace d’exposition, les œuvres avec leurs titres instillent comme les extraits d’un poème ; fragments de sens, impressions, sensations, elles évoquent plus qu’elles désignent. Au travers de la série de toiles Elle fut la sienne, la nôtre un instant, on reconnaît le sujet ou plutôt le décor d’une miniature religieuse. Voici l’édicule, la chaise et la place d’un évangéliste absent. Les variations de couleurs sur ces peintures aux techniques mixtes ont quelque chose d’haptique, la sensualité des pastels gras, la brillance de l’acrylique témoignent d’un plaisir du geste. La touche enlevée comme si elle était appliquée au doigt traduisent un enthousiasme quand l’application de la feuille d’or avec toutes ses connotations religieuses appellent au sacré. Cette réappropriation pleine de vie d’une image canonique permet à Emma Seferian d’échapper à l’idée d’une histoire monolithique. Avec “Amours, marguerites et troubadours”, titre par ailleurs emprunté à un épisode de la série Gilmore Girls, l’artiste embrasse la possibilité des récits multiples, enchâssés, des récits chantés et des récits-poèmes. Une manière de célébrer des retrouvailles et de futures rencontres.

Henri Guette, avril 2023

1B. Bégout, Le Concept d’ambiance. Paris, Seuil, Ordre Philosophique, 2020

Portrait vidéo d’Emma Séferian réalisé pendant la résidence des Chantiers, 2022-2023.

Réalisation : Margaux Germain pour Documents d’Artistes Bretagne
© Passerelle Centre d’Art contemporain et Documents d’Artistes Bretagne, Brest 2023.

Née le 10/11/1997. Vit et travaille à Brest.
En résidence de novembre 2022 à janvier 2023
> Site internet : http://base.ddab.org/emma-seferian

Pour Emma Seferian, la création artistique se pense au quotidien, le geste créatif nait dans l’expérience de celle qui se sent chez soi. Le confort, se place ainsi au centre de ses préoccupations, et, se recherche à travers la pratique des loisirs créatifs, de la méditation et de la bricole, est le commencement de toutes les formes qu’elle crée pour réaliser ses installations. Cette démarche, centrée sur la douceur et la justesse du geste se traduit par des compositions qui suggèrent l’intime sans jamais ne rien révéler qui ne le soit réellement.

Louis Frehring, texte rédigé dans le cadre de l’exposition Côté coeur, côté jardin, la vitrine (Brest).