Caroline Thiery
- Journal de la résidence
- Vues d’exposition à Passerelle
- Texte d’Horya Makhlouf
- Film de la résidence
- Biographie
Vues d’atelier
CARNETS
Vues des carnets de Caroline Thiery
PAROLES PAROLES PAROLES
∼ Comment écrire une lettre d’amitié ?
https://www.laposte.fr/lettre-amitie#:~:text=Merci%20d’%C3%AAtre%20mon%2Fma,ne%20me%20laisseras%20jamais%20tomber.
∼ Comment fabriquer un déguisement de fantôme ?
https://www.familiscope.fr/activites-enfants/bricolages/bricolage-halloween-fabriquer-un-deguisement-de-fantome/
∼ Which Neon is best Neon? – Regular Cars
https://www.youtube.com/watch?v=Bd8XcQZPMXw
∼ ACTUAL compilation of jason derulo’s name in songs
https://www.youtube.com/watch?v=CZrxnCuLVt0
∼ Perec Penser/Classer- Douze regards obliques
4 Parenthèses en forme d’anecdote
∼ Roland Barthes – De la parole à l’écriture
∼ Francis Ponge – Le Parti pris des choses 1942 – Les plaisirs de la porte
TEENAGE DREAM
+ Cliquez sur les images pour les agrandir
∼ shirt swap scene – extrait du film Freaky Friday 2003
https://www.youtube.com/watch?v=MGjdF7AAP54
∼ Priscilla – Une fille comme moi (full album)
https://www.youtube.com/playlist?list=PLpV7U_yVts2Q3UIH5y4nv-RartZP38Yjq
∼ Se m’innamoro – Ricchi e poveri :
https://www.youtube.com/watch?v=di27KY6sKKw
∼ Sylvie Vartan- Bienvenue Solitude
https://www.youtube.com/watch?v=m5GbJ25qSNI
∼ Guy Bonnardot – Sans toi
https://www.youtube.com/watch?v=D5UxbGBBndQ&list=LL&index=4
∼ Why does the world hate teenage girls ?
https://candidorangemagazine.com/2020/10/12/why-does-the-world-hate-teenage-girls/
Extrait du texte Why does the world hate teenage girls ?
∼ Roland Barthes – fragments d’un discours amoureux– 1977
GOMMES À MÂCHER
Répertoire d’images de plaids
∼ SHREK RETOLD
https://www.youtube.com/watch?v=pM70TROZQsI
∼ Shrek fandom and its weird, crowdsourced, movie remake
∼ Wiki-how – How to fold a towel swan
https://www.wikihow.com/Fold-a-Towel-Swan
∼ « Pickles » Spongebob season 1 , transcript
https://spongebob.fandom.com/wiki/Pickles/transcript
∼ Maroon 5- Misery (Official Music Video)
https://www.youtube.com/watch?v=6g6g2mvItp4
∼ Maroon 5 -Misery lyrics genius
https://genius.com/Maroon-5-misery-lyrics
Whatever remains from the ghosts
Du 18 février au 14 mai 2022
Vues de l’exposition Whatever Remains From The Ghosts à Passerelle Centre d’art contemporain, Brest.
Photo © Aurélien Mole.
« Pour que tu mème encore »
Par Horya Makhlouf
« Des saluts, des bonjours / Sourires de velours / Mais toujours pas d’amour », clame la voix de la chanteuse Priscilla en fond sonore de l’exposition de Caroline Thiery au CAC Passerelle. La malheureuse est à deux doigts de se faire « ghoster » – entendre : tacitement éconduire par absence 1. de réciprocité de sentiments, 2. de réponse aux « cris, [et] tambours / à vous rendre sourd » qu’elle a pourtant l’air d’avoir déchaînés dans sa quête d’une idylle passionnée. La voix de la star des années 2000, qui sort d’un lecteur CD couvert de strass et de paillettes, est pourtant énergique et joyeuse. C’est bon signe : elle se remettra de sa peine, et ses fans avec. Que restera-t-il alors des fantômes une fois qu’ils auront été oubliés ?
Aussi rieuse que Priscilla, Caroline Thiery a choisi de se concentrer sur les sourires qu’ils auront laissés de leur passage. Ceux qu’ils auront envoyés, à l’envers – cette petite tête numérique, jaune et retournée, qui veut tout et rien dire en même temps 🙃 – alors qu’ils étaient encore en mode conquête ; ceux qu’ils déclencheront une fois le chagrin passé et tourné en dérision – alors transformé en mème, une image accompagnée de commentaires ou citations sarcastiques, que l’on s’envoie comme un grigri pour aller de l’avant – ; ceux enfin nés de l’expérience, de la distance permise par les années ou les répétitions : si on ne peut pas changer les fantômes-fuckboys, au moins peut-on en rire.
Sur les murs du centre d’art, l’artiste a disséminé les outils d’une thérapie collective reposant sur l’humour, pour se libérer 1. des chagrins d’amour, 2. des injonctions sociales et affectives produites pêle-mêle par l’adolescence, Internet, l’industrie de la musique ou la société patriarco-capitaliste.
Façon Ghostbuster, Caroline Thiery est partie à la poursuite des fantômes de tous bords et en a aspiré les traces, les apparitions énigmatiques et les déguisements. Dans le Metaverse et dans ses souvenirs, elle a tenté de débusquer les formes qu’ils pouvaient prendre, hier et aujourd’hui, avant de les couler dans des installations, carnets, dessins et autres sculptures devenus trophées de chasse des spectres attrapés. Sur de grands plaids suspendus au plafond et quantité de feuilles de brouillon griffonnées comme dans l’urgence, elle reproduit des échanges sms, des images de stock archétypales, des déclarations foireuses et des citations motivantes : « ta bave n’atteint pas la colombe », « this could be us but you playin », « I <3 U, ça veut dire « je t’aime » en anglais ». Autant de fragments de discours amoureux frénétiquement compilés et recomposés, qui remplissent l’espace de kitsch niaiseries et de « mots balourds » – c’est toujours Priscilla qui le dit – hautement polysémiques.
Ici et là des figures et des objets ravivent la mémoire de qui a grandi à l’orée des années 2000 et lui rappellent les colliers de l’amitié que l’on s’échangeait pour s’assurer un lien éternel, les journaux intimes auxquels on confiait ses secrets les plus confidentiels, les posters saturés cueillis au cœur des magazines pour adolescentes, figurant des couchers de soleil idylliques, des chevaux crinières au vent ou des petits animaux auxquels on prête toutes sortes d’émotions humaines – les mêmes que l’on retrouve aujourd’hui en mème sur les réseaux : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
Caroline Thiery pose sur ces symboles apparemment datés un regard aussi plein d’humour que de tendresse. L’apparente légèreté de ses images et de ses associations titille les zygomatiques. Le décalage systématique mis en scène dans ses combinaisons déclenche les sourires. Ici les colliers de l’amitié ont été échangés entre une bouteille d’huile d’olive, une de vinaigre balsamique et un pot de moutarde, actant l’attachement pour toujours des trois ingrédients d’une vinaigrette ; là les captures d’écran d’un documentaire animalier sur les cygnes décortiquent les stratagèmes amoureux de l’animal qu’on dit le plus fidèle au monde, en face d’un message clairement ambigu envoyé à 1h du matin à un destinataire auquel on demande si elle est réveillée – la parade nuptiale de l’oiseau n’a rien à envier à celle du fuckboy. Caroline Thiery malaxe les sous-textes, compile les mythes populaires et multiplie les sous-entendus pour exposer publiquement l’absurde. « Rien ne désarme comme le rire », nous dit Bergson. En provoquant « l’anesthésie momentanée du cœur » décrite encore par l’auteur du Rire, celui-ci « s’adresse à l’intelligence pure ». Il permet de tenir les émotions à distance et de prendre enfin la hauteur suffisante qui permettra de dévoiler progressivement les mécanismes invisibles par lesquels les images – et les fantômes – s’imposent à nous.
Deux trous pour les yeux dans une large couverture et le tour est joué : il est facile d’imiter les fantômes ; moins de les ferrer. D’autant plus quand ceux-ci se cachent dans les méandres de la mémoire, dans les pages d’un journal intime, dans les items culturels produits et diffusés à la chaîne par d’habiles producteurs qui en arrivent à disséminer le doute : est-ce moi qui ai créé le fantôme ou me l’a-t-on imposé ? Le chagrin de Priscilla est-il celui d’une adolescente qui partage candidement sa peine ou un étudié par des paroliers adultes – et masculins – qui l’ont rendu assez universel pour que toutes les petites filles puissent s’y projeter ?
Derrière les mots et les images, les symboles et les chorégraphies finement rythmées, il y a des stratégies employées par les fantômes pour s’installer tranquillement dans nos consciences et dans nos vies. Ce sont elles que Caroline Thiery met au jour dans ses objets a priori faciles, aussi efficaces que les mèmes que l’on trouve par milliards sur Internet. L’élément de langage nouveau que ceux-ci constituent est pernicieux. Dans la simple association d’une image et d’un texte sont transmis en même temps un message, une représentation et une émotion. Immédiat, instantané, le mème est une combinaison d’autant plus efficace qu’il n’est jamais seul ni figé. Immédiatement absorbé par des flux communicationnels en défilement continu, il est librement réappropriable, constamment en mouvement, et s’imprime ainsi dans la conscience avant même qu’un coup de pouce ne l’ait fait disparaître du feed. Le mème est le fantôme ultime, impossible à oublier.
Quel est le point commun entre une Vierge à l’enfant byzantine, Priscilla et un smiley à l’envers ? Carambar, le Petit Robert et Caroline Thiery s’accordent sur la réponse : tous les trois sont des icônes. La polysémie du mot est cocasse ; elle en dit long sur notre régime contemporain des images et sur l’attention collective que nous leur portons. Il y a plus de liens qu’on pourrait a priori l’imaginer entre une peinture religieuse, une star adolescente et un symbole de communication numérique.
À la viralité des mèmes, à leur circulation sans discontinuer sur Internet, Caroline Thiery oppose la pause, l’arrêt sur image, que permet le dispositif de l’exposition. Ce faisant, elle rattrape le temps, archive l’historique de navigation en temps réel et offre à ses fantômes le temps de devenir les icônes qu’il nous faudra déconstruire.
Portrait vidéo de Caroline Thiery réalisé pendant la résidence des Chantiers, 2022.
Réalisation : Margaux Germain pour Documents d’Artistes Bretagne
© Passerelle Centre d’Art contemporain et Documents d’Artistes Bretagne, Brest 2022.
Née en 1997, vit et travaille à Brest et ailleurs.
En résidence de novembre 2021 à janvier 2022.
Je suis née le 12 mai 1997 à Remiremont, dans les Vosges.
Je mange de tout généralement ou en tout cas j’essaie toujours de goûter, c’est important. Je goûte à tout et ça remplit ma collection d’anecdotes. Je les classe je les décortique je les cuisine ou je les mange crues je les ressors comme une spécialité je les grandis je me vante et fais le show ou je les garde pour moi.
Des fois je suis seule et je m’en vais retrouver des autres : je suis un peu en retard, plein de choses à faire, à marcher entre une tâche et une autre, plusieurs ami.e.s un peu de famille au loin,quelques collègues, des enfants surprenant.e.s au travail, toujours la tête un peu occupée par des chansons pop ou des punchlines qui claquent et résonnent dans chaque recoin de l’esprit. Toujours un peu essoufflée, le regard qui s’accroche aux détails, un peu de vernis de calme appliqué sur une excitation permanente, peut-être bien du calme déguisé en bouillonnement, j’arrive pour trouver un moment, des aventures plus ou moins extravagantes, les choses et les gens que j’aime. C’est pas fou de venir les mains vides donc je prends ce que je peux sur le chemin. Un panneau qui me tape dans l’œil, une conversation entres deux mamies, une soirée karaoké dans un bar d’une petite ville, des plats chauds dans des barquettes en plastique, un ou deux discours enflammés, des photos prises partout à la volée, une obsession pour un sujet spécifique sur un temps donné, des voix qui portent assez fort, des ressentis de différentes villes de province, des souvenirs d’il y a dix ans et d’autres d’il y a trois jours, du bricolage parfois un peu bancal, des objets plutôt décomplexés, des choses à boire et à manger.
Je me nourris de tout cela et la sieste digestive peut-être plus ou moins longue. Je me lance dans un processus de ponte et comme une poule je mature des œufs qui sont des dessins, des phrases et mots capturés et recrachés, des images des photos des sculptures, formant un ensemble de plats, cocktails et amuses-bouches, qui nous permettent de nous amuser, nous questionner, nous ouvrir à ce qui construit notre culture, sa poésie et ses détours cocasses.