Le point d’origine
Henri Guette, novembre 2023
Texte écrit à l’occasion de l’exposition de Germain Marguillard
Où commence le monde ? Si le modèle cosmologique du Big Bang s’est développé et imposé tout au long du XXème siècle grâce aux travaux de mathématiciens, physiciens, astrophysiciens, astronomes, de multiples imaginaires ont été formulés au cours des siècles et par différentes cultures pour en expliquer l’origine. Des récits teintés de sacré ont mis en avant des points de départ possibles, au travers d’un arbre immense, d’un océan sans fin ou d’une pierre comme les Grecs anciens qui firent de l’omphalos de Delphes un symbole et le nombril du monde. En résidence à Mont-Dol en Ille-et-Vilaine et lors de l’exposition Petra Genetrix¹, Germain Marguillard s’est intéressé particulièrement aux pierres qui pouvaient condenser ce sentiment de l’origine, aux ruines des autels sacrificiels dédiés à Cybèle et Mithra et à la manière dont les minéraux peuvent être chargés. Ces signes dans le paysage, ces pierres de granit ou de marbre dans lesquels on voit une manifestation ou un lien avec une puissance transcendante, l’ont amené à se demander comment se perpétuent ces liens jusqu’à nos contemporains, aux forces qui les entourent et les dépassent. Avec Axis Mundi, où il reprend en miniature la forme d’une architecture sacrée antique qu’il associe à un bétyle, il initie la comparaison entre la caverne et le temple. En jouant des matériaux fragiles comme le plâtre et la cire et d’autres plus durables comme la céramique ou le bois, en travaillant jusque dans les socles le trompe l’œil, il cultive le doute d’une époque en mal de repères. En donnant à percevoir comme culturel des ensembles géologiques, il rappelle l’existence de certains cycles et par son goût de l’éclectisme, le retour d’une pensée New Age.
Mircea Eliade dans Le Sacré et le Profane² analyse bien comment “l’homme moderne qui se sent et se prétend areligieux dispose encore de toute une mythologie camouflée et de nombreux ritualismes dégradés”. La crise de l’idée de progrès, la faillite d’utopies révolutionnaires et la remise en cause du modernisme laissent un vide pour de nombreux individus qui cherchent à reconstituer un rapport à la spiritualité, parfois mâtiné d’observations scientifiques. L’exposition À l’infini, pas du tout à Passerelle Centre d’art contemporain³, traduit bien ce mouvement de balancier : j’y crois un peu, beaucoup, passionnément… La proposition de Germain Marguillard n’est pas sans humour et les panneaux de bois et céramique de Fenêtre quantique, malgré la rigueur des schémas de physique quantique qui les ont suggérés ont quelque chose du cartoon. L’exposition appelle à une forme de distance que ce soit avec ce jeu de clin d’œil qui attire et met en garde le spectateur ou plus largement avec sa scénographie qui embrasse le white cube à la fois comme un espace sacré et un laboratoire. L’éclairage particulièrement blanc renforce la netteté des ombres et fait ressortir ce je ne sais quoi dans les œuvres qui nous les présente malgré leurs finitions plus fragiles et presque artisanales.
Les sculptures Montre moi l’univers et Dessine moi la matière, reprennent la forme de l’accélérateur à particules que peu de visiteurs reconnaîtront de prime abord. Objet de fantasme comme dans le texte d’Aurélien Bellanger Eurodance⁴, cet instrument de pointe, formateur de trou noir, est, malgré sa terrible puissance, dépourvu d’un imaginaire auprès du grand public. Il est, en effet, enterré et surveillé, loin des regards, comme si le fait d’être occulte lui conférait une efficience supplémentaire, un rôle presque cosmogonique. Germain Marguillard joue de cette ambivalence en croisant dans ses œuvres les formes scientifiques/technologiques avec des symboles alchimiques. Les opérations de transformation qu’il mène sur ses matériaux participent de ce processus, alimentent l’idée d’un rituel ou d’un passage au sacré. Il s’agit de montrer une continuité symbolique, de traiter du sujet des croyances et d’une forme de foi scientifique.
En tournant autour de Halo, qui reprend la forme de la parabole, on entend un écho, un phénomène sonore que la forme mathématique induit. La sculpture crée un champ autour d’elle qui saisit physiquement le spectateur en absorbant le bruit de ses pas. Quand la parabole de pointe utilisée par les scientifiques sert à capter des signaux qui viennent d’un au-delà, celle déployée par l’artiste sert à explorer un au-dedans. Les matériaux qu’il façonne, à la fois à la main et avec des outils numériques très sophistiqués, le bois, le métal, la céramique et la pierre reconstituée, évoquent un rapport au temps à l’inverse du futurisme. La façon dont il travaille l’ornement de ces formes remet en cause la notion de l’efficacité aujourd’hui, de la neutralité affichée de ces instruments et des objets techniques pour proposer un pas de côté. Qu’est-ce que le boson de Higgs a apporté à notre esthétique d’aujourd’hui ? La question de l’origine tout comme celle de la destination, du but est de celle qui permet à une civilisation de se définir. À l’heure où certains regardent vers Mars, Germain Marguillard avec une exposition comme À l’infini, pas du tout cherche à recréer, sinon un commun à l’échelle de la main, un imaginaire où s’investir quelle que soit l’échelle.
Henri Guette, 2023
1 Germain Marguillard, Petra Genetrix, Maison du tertre, Mont-Dol, Ille-et-Vilaine, 09 juin – 1er juil. 2023
2 Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, « Idées », 1965 ; rééd. « Folio essais », 1988
3 Germain Marguillard, À l’infini, pas du tout, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, 16 juin – 16 sept. 2023
4 Aurélien Bellanger, Eurodance, Paris, Gallimard Hors Série Littérature, 2018