Maxence Chevreau


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Vues du montage de l’exposition, 22 mai 2019


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Vues du montage de l’exposition, 15 mai 2019


Réalisation d’une corde, vidéo filmée en avril 2019


Vues d’atelier avril 2019

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Vues d’atelier avril 2019

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Images issues du fonds iconographique Maciet

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Recherches de combinaison de couleurs

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Iconographie

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ETRKDM Landscaped trees and green fields of Chatsworth Park, Derbyshire, UK.

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1 à 3 – Animation background, Tom & Jerry and the Goldfish, 1951
4 – Objet parlant, Musée du Louvre Paris, entre  IXe et Ier siècle av. J.-C.
5 – The yellow Kid, Richard F. Outcault, 1895
6 – Saint Anne and Angel (detail), Bernhard Strigel, 1506-1507
7 – illustration issue du Codex de Florence, Histoire générale des choses de la Nouvelle Espagne, Bernardino de Sahagún entre 1558 et 1577
8 – First aid and rescue drawings. The book of Camping, 1917
9 – Augustin Danyzy, Expériences sur la poussée et la ruine des voutes réalisées pour l’Académie de Montpellier, 1739
10 – cabinet en marqueterie de paille à motif d’éventail, vers 1925, Jean-Michel Frank
11 – Park à Chatsworth, Derbyshire, Capability Brown
12 – Elain Lustig Cohen devant sa collection de peignes
13 – détail de La tapisserie de l’apocalypse, vers 1375, château d’Angers
14 – Carstian Luyckx, Opulent Still-Life with Silver and Gilt Metal Objects, Nautilus Shell, Porcelain, Food and Other Motifs on a Draped Table, vers 1650
15 – plantes topiaires
16 – tree house, Jens Hauge
17 – gui
18 – linotte mélodieuse


Zipping along
Du 8 juin au 31 août 2019, Passerelle, Centre d’art contemporain, Brest

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Dans la langue de Molière, le titre pour le moins énigmatique donnerait quelque chose comme « compresser avec complicité ». Si certaines pièces procèdent effectivement de la compression, on se demande bien en quoi elles devraient titrer l’ensemble. Quant à la complicité, elle réside certainement dans une invitation généreuse à la flânerie.

Le jeune artiste revendique une pratique ancrée dans des logiques narratives dont ses formes et scénographies participent de l’écriture. L’exposition se compose de trois groupes d’œuvres comme autant de personnages archétypaux d’une commedia dell’arte d’un genre nouveau. On y trouve ainsi des moulages d’éléments naturels ou d’objets glanés au gré de ses pérégrinations, des totems aux formes doucement dessinées dont l’échelle humaine vient contrarier la mesure des premières, et des toiles de fond abstraites qui ne sont pas sans rappeler les backgrounds colorées des cartoons animés (d’ailleurs le titre est celui d’un épisode de Bip Bip et le Coyote de 1953). On verrait également volontiers dans la proposition une histoire de l’abstraction un peu empressée… ou compressée en trois étapes : un transfert direct d’une réalité observée, une exagération – voire une dissolution – de la forme dans le trait et une abstraction assumée dans le champ de couleur. Enfin, à cela près qu’une corde esseulée vient apporter un bémol un brin lascif à ce ballet ordonné. Sa composition chromatique ressemble à un code génétique qui se pourrait bien être l’ADN de l’exposition toute entière. En effet, Zipping along propose de sentir, d’éprouver des rythmiques séquencées comme des onomatopées en toute complicité.

Au mur : Sans titre, 2019
Sculptures murales, silivone, colorant, corde, dimensions variables.

au sol : Sans titre, 2019
Polystyrène expansé, enduit de lissage
136x183x8 cm // 160x187x8 cm // 11x167x8 cm

Peintures : Sans titre, 2019
Voile de forçage, peinture acrylique, fil, câble, tasseaux
300×315 cm // 300×315 cm // 315 x 1000 cm

Photo : © Aurélien Mole.

Maxence Chevreau – Zipping along        


« C’est le bord d’une forme, et ses contours

dans son intégralité. Une mélodie arrangée, une récitation,

manière dont se forment les horizons.

[…]Ce sont des paumes et des plis,

corde serrée autour de la main de quelqu’un, des choses

qui ressemblent à des marques dessinées : une suture ou le faîte

d’une montagne,

une incision, telle épaisseur de lumière. »

Matt Donovan, « Line », Poetry, 2003[1]

Suture métallique au beau milieu d’un paysage aride, un chemin de fer traverse l’image de part en part. On ne tarde pas à y voir passer un train lancé à pleine vitesse, et une forme indistincte qui, tout aussi rapide, fait la course à ses côtés. Sa vélocité est telle qu’on n’en perçoit qu’un ensemble de lignes brouillonnes. Il faut un arrêt sur image et un sous-titre pour l’identifier : Bip Bip. Sous les yeux du coyote qui le guette du haut des canyons, l’oiseau-coureur s’apparente à une trace noire et furtive qui longe les routes. À force d’efforts pour suivre ses mouvements frénétiques, le museau du coyote se démultiplie à l’image. Comment piéger Bip Bip, si ce n’est en interrompant sa trajectoire et les lignes qu’il tire si rapidement dans le paysage ? En se plaçant à un carrefour, en coupant les cordes du pont qu’il va nécessairement emprunter ? L’intrigue est répétitive, les stratégies envisagées inépuisables. Et s’il fallait résumer Zipping Along (1953), énième épisode de la poursuite de Bip Bip par Coyote, on pourrait dire qu’il s’agit essentiellement d’une brève histoire de lignes. Le créateur du cartoon, Chuck Jones, dit avoir voulu raconter « l’incroyable vélocité d’un corps » dans une image « débarrassée de tout encombrant »[2]. Et c’est avec Maurice Noble, dessinateur et concepteur des arrière-plans de l’action, qu’il travaille à réduire l’intrigue à un mouvement, à faire du paysage un ensemble de plans colorés monochromes qui s’entrechoquent. Quelques années plus tard, les deux hommes réaliseront High note (1960), l’histoire animée d’une note ivre qu’ils diront avoir conçue « comme un tableau de Mondrian »[3].

En intitulant son exposition Zipping Along, Maxence Chevreau se place dans la lignée des créateurs de Warner Bros, opérant à la jonction de la pop culture des cartoons et de l’abstraction. Des arrière-plans de Maurice Noble, il a extrait cette palette poudrée de nuances allant du violet au brun sable en passant par le bleu ciel et le rose clair. L’exposition se développe ainsi sous le signe de cette gamme chromatique particulière, déclinée dans les sculptures en silicone qui ponctuent les murs et pulvérisée sur des voiles de forçage tendues qui redessinent l’espace. Au centre, trois éléments autoportants en polystyrène peint et poncé s’apparentent à des stèles plates de pierre rosie. Les éléments sculpturaux oscillent entre une forme de familiarité (ne distingue-t-on pas ici un bras de profil incisé dans le polystyrène ou une bobine de fil figée dans le silicone ?) et une indétermination qui fait principalement ressortir leurs contours arrondis et abstraits. En dehors et au-dessus des trois ensembles décrits, une corde entortillée de 30 mètres de long pend négligemment du plafond. Tissée par l’artiste à partir d’un code chromatique inspiré de Maurice Noble, elle condense toutes les teintes à l’œuvre. Elle est la séquence ADN de l’exposition, l’objet, aussi banal soit-il, qui compresse, « zippe » l’ensemble de la proposition.

Dans son ouvrage Une brève histoire des lignes, l’anthropologue Tim Ingold distingue plusieurs types de lignes et de mouvements qui leurs sont associés. Il oppose ainsi à l’idée de la traversée (across), déplacement contemporain par excellence décrivant une ligne droite allant d’un point A à un point B, le mouvement de celui qui « longe » – en langue anglaise « along ». « Une ligne qui longe est, pour reprendre les termes de Paul Klee, une ligne partie en promenade »[4]. Pour Tim Ingold, « longer » n’est pas uniquement une manière de se mouvoir, c’est une attention particulière portée au chemin le long duquel on avance. En amont du travail dans l’atelier, Maxence Chevreau part en promenade. Sur les côtes bretonnes de Douarnenez, dans les chantiers navals de Brest, dans la rue, chez des amis, l’artiste glane des objets dont il garde une empreinte, moulée ensuite dans le silicone teinté. Il pose un œil attentif sur les rebus – manille de levage abandonnée, chutes de bois – et sur les formes qui, du muret de jardin au ruban, habitent les franges du paysage et les recoins domestiques. Comme l’explique l’anthropologue, longer consiste avant tout en une manière de se « tisser un chemin dans le monde » plutôt que « de traverser sa surface de point en point ». Si dans Zipping along l’idée de tissage fait écho à cette corde-matrice et aux quelques éléments textiles que l’on retrouve fossilisés dans le silicone, elle permet également d’envisager comment Maxence Chevreau tresse ce répertoire de formes glanées. La trame, c’est précisément le médium de l’artiste qui navigue allègrement entre une pratique de la sculpture plate, souvent proche d’une peinture en trois dimensions, et une expérimentation picturale où la toile est remplacée par une voile de forçage voire réduite à une cordelette. Comme il le suggère en décrivant son travail (« lire un livre et penser à une sculpture, voir une image et penser à un film, isoler une case de bande dessinée, relever une anecdote […]. »[5]), son processus tient plutôt du nattage, de l’enchevêtrement d’un motif ou d’une couleur qui en amène toujours un·e autre. Ce principe ne concerne pas uniquement le procédé mais les références dans lesquelles il puise, qui, à considérer les œuvres et son journal de résidence, pourraient s’étendre de la statuaire antique aux pictogrammes de premiers secours issu d’un guide de camping. Au milieu de ces images et de ces surfaces, son maître-mot semble être l’entrelacs, « une ligne qui compose avec le chaos plus qu’elle n’essaie de l’organiser »[6].

Les étapes successives de collecte, d’empreinte par thermoformage, de moulage ou de ponçage des formes ont pour effet de simplifier les contours, d’effacer les détails des objets ou iconographie glanés. Les sculptures s’absentent de leurs modèles pour composer des signes dans l’espace. Le plus souvent associées deux à deux, les pièces murales en silicone s’enchaînent dans un mouvement descendant de la gauche vers la droite. Elles pourraient être des notes sur une portée, mélodie passant de l’aigu au grave, ou des images-lettres composant une phrase courte, un haïku. Dans le vocabulaire du cartoon, on pourrait dire de ces objets ni identifiables ni abstraits qu’ils sont des onomatopées, la réduction du langage à un bruitage faisant image. Quant aux trois sculptures en polystyrène qui se tiennent au centre, Maxence Chevreau semble y avoir résumé en peu d’incisions des postures, comme l’on réduit le caractère d’un personnage à quelques traits identifiables. On distingue des contours humains, un coude, le pli d’une hanche, « un contrapposto » antique dit l’artiste. Ces personnages sans épaisseur ne sont pas sans rappeler ceux créés par l’artiste Sarah Tritz, qui opère également un rapprochement de formes issues de contextes très éloignés, citant la peinture rupestre et les cartoons[7], pour créer des œuvres à mi-chemin entre sculptures et personnages. Chez les deux artistes, la mise en relation d’éléments éloignés induit une dialectique humoristique. Car ces objets prélevés sur des chantiers ou ces modèles issus de l’histoire de l’art sont rejoués dans une version pastel et artificielle de matériaux associés le plus communément aux gadgets ou aux emballages. L’effet de collision qui rythme l’espace produit, comme dans le cartoon, un certain comique de répétition. Ici, la statuaire est en toc et complètement ramollie.

Maxence Chevreau parle d’ailleurs volontiers de « lazzi », ces plaisanteries récurrentes de la comedia dell’arte, au sujet de ses œuvres. À l’image des lazzi, qui ont la particularité de pouvoir s’exprimer à travers une phrase, autant qu’un geste ou une grimace, les trois ensembles que l’artiste a composé semblent constituer les ingrédients d’une pièce de théâtre éclatée dont on sait plus ce qui passe par la parole ou par le mouvement, ni exactement ce qui tient lieu de décor ou d’acteur. Les sculptures autoportantes qui esquissent un geste, pourraient être autant didascalies que personnages, tandis que les onomatopées glissant le long du mur sembleraient s’être échappées de la toile de fond, emportant avec elles ses couleurs. Comme dans les nouvelles de Julio Cortazar, Cronopes et Fameux, les formes se présentent comme des « Espérances »[8], ces êtres flottants si passifs et malléables qu’ils en viennent à se fondre dans le décor. L’artiste semble en tout cas les avoir mis en scène autour de cette corde, symbole d’une théâtralité où l’on tire autant de ficelles qu’il y a d’accessoires scéniques et de rebondissements. Isolée et entortillée, elle endosse de loin le rôle du lien dialectique et chromatique qui unit les protagonistes. Que raconte alors cette pièce où coloris et arrondis s’enchaînent, si ce n’est une histoire simple, « celle d’une forme qui court après une autre qui court après une autre »[9] ? Sur ce chemin, quiconque est invité à prendre part à la gymnastique de la poursuite, à longer les toiles poudrées, à rebondir d’une surface molle à une autre. Car si les œuvres de Maxence Chevreau sont à l’image des « Espérances », elles se laissent, à leur image, « voyager par les choses et les gens […] comme les statues qu’il faut aller voir car elles ne se dérangent pas. »[10]

En tirant les fils de Zipping Along, Maxence Chevreau crée un théâtre proche de celui de Chuck Jones et Maurice Noble, une pièce où les moyens se concentrent autour de l’impulsion d’un mouvement, d’une action vaine sans cesse rejouée ; autour de formes complices qui se courent après, et qui, en traçant des lignes dans l’espace et dans l’histoire, expérimentent l’infinie élasticité de la corde qui les relie les unes aux autres.

Elsa Vettier, juillet 2019

[1] Traduction française issue de l’ouvrage de Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, ed. Zones Sensibles, 2011-2013

[2] “The Roadrunner series tries to capture the essence of speed-of a body moving in space at incredible speed […] I wanted to sweep the screen clean of encumbrances”. Chuck Jones, “The Roadrunner and Other Characters”, Cinema Journal, Vol. 8, No.2 (Spring 1989), p.12

[3] ibid.

[4] Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, ed. Zones Sensibles, 2011-2013

[5] Maxence Chevreau, « Démarche artistique ». http://www.leschantiers-residence.com/maxence-chevreau/

[6] Camille Azaïs, texte pour l’exposition de Lucille Ulrich « Instants d’après gamme », galerie Arnaud Deschin, juillet 2017

[7] Sarah Tritz, « Beauté de la copie », septembre 2016. http://www.sarahtritz.eu/textes/

[8] Julio Cortazar distingue dans ses nouvelles trois familles d’une humanité surréaliste, les Cronopes, les Fameux et les Espérances.

[9] « Il faut qu’une forme coure après une autre forme qui coure après une autre, c’est ainsi que se construit l’espace de mes expositions ». Sarah Tritz, entretien avec Sandra Patron et Franck Balland, octobre 2015. http://www.sarahtritz.eu/textes/

[10] Julio Cortazar, Cronopes et Fameux, ed. Gallimard / Folio, 1962

Portrait vidéo de Maxence Chevreau réalisé pendant la résidence des Chantiers de mars à mai 2019.

Réalisation : Margaux Germain pour Documents d’Artistes Bretagne
© Passerelle Centre d’Art contemporain et Documents d’Artistes Bretagne, Brest 2018.

Né en 1995, Vit et travaille entre Paris et Douarnenez
En résidence de mars à mai 2019

Site internet de l’artiste : http://base.ddab.org/maxence-chevreau

Lire un livre et penser à une sculpture, voir une image et penser à un film, isoler une case de bande dessinée, relever une anecdote, sont autant d’éléments que je saisis pour les faire se rencontrer. Par la sculpture, le dessin, le texte, les collections d’images, je capte des formes par focus, comme des détails. À l’image d’une forme en gigogne, une chose en amène une autre. Je construis des groupes de sculptures par série ou séquence, comme des digressions successives. Ainsi, des objets très dessinés côtoient des objets trouvés, des empreintes, des moulages dans une grande variété de matériaux. Ces groupes composent un langage  sur un mode musical avec ses variations, ses rythmes , ses propres niveaux d’incertitude, ses redondances, ses accents. La mise en relation d’éléments disparates me permet de mettre en dialogue des univers aussi variés que ceux du cartoon, de l’archéologie, du domestique, de l’histoire de l’art ou du design, pour devenir sensible à la structure qui les relie. Les sculptures se prolongent entre elles et évoquent la possibilité d’une lecture dans un langue inconnue, une écriture qui fonctionne par rebond et fuites successives. L’installation devient le moment où les histoires se recomposent, comme après un étourdissement.