Fanny Gicquel

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Captures d’écran du film a scene at the sea de Takeshi Kitano

la cicatrice interieur philippe garel la cicatrice interieur philippe garrel2 la cicatrice interieur philippe garrel5
Captures d’écran du film La cicatrice intérieur de Philippe Garrel

bleuets-magie-nelson
Bleuets, Maggie Nelson, éditions du Sous-Sol

choregraphier-l-exposition
Chorégraphier l’exposition, Mathieu Copeland, éditions les presses du réel

erving-goffman-la-mise-en-scene-de-la-vie-quotidienne
La mise en scène de la vie quotidienne-les relations en public, Erving Goffman, les éditions de minuit

fernando-pessoa-ode-maritime
Ode maritime, Fernando Pessoa, éditions La différence

michel-leiris-le-sacre-dans-la-vie-quotidienne
Le sacré dans la vie quotidienne, Michel Leiris, éditions Allia

Podcasts :
La Poudre épisode 62 sur Maggie Nelson : https://soundcloud.com/nouvelles-ecoutes/la-poudre-episode-62-maggie-nelson-double-en-francais

Les chemins de la philosophie France Culture, Paul Audi, philosophe de l’identité https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/profession-philosophe-4874-paul-audi

Une vie, une œuvre, France Culture, Fernando Pessoa (1888-1935), écrivain pluriel : https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/fernando-pessoa-un-ecrivain-pluriel-1888-1935


Fanny Gicquel x Phenüm

En s’inspirant de son exposition “Des Éclats” au Centre d’Art Contemporain Passerelle à Brest, Fanny Gicquel propose, en collaboration avec PHENÜM, une écharpe portant d’un côté l’inscription IMMENSITÉ en langage sémaphorique, issue de l’une des scènes de sa vidéo où une performeuse le réalise gestuellement face à la mer. Au verso des formes et couleurs inspirées par les paysages de Crozon dessinent un paysage abstrait. Ces surfaces ont d’abord été réalisés en collage papier avant d’être transposé dans la feutrine afin de réaliser des peintures-collages.

⇒ En savoir plus

A propos de Phenüm :
Ancré à Brest, Phenüm est un label artistique français, éditeur de textile et accessoires en série limitée.En 2009, Ific de Orestis se décide à mettre en lumière le talent de ses amis artistes et fonde Phenüm, qui deviendra, au fil des collaborations, une grande famille composée d’illustrateurs, peintres, musiciens, designers et photographes immergés et impliqués dans une variété de sous-cultures (musique, glisse…) et prenant un plaisir non dissimulé à créer de beaux instantanés de vie.
Leurs productions sont perpétuellement placées sous le signe de l’expérimentation graphique et artistique, sans retenue, sans faux-semblants et sans auto-censure.
Dans une recherche permanente d’esthétisme et de rareté, les vêtements sont confectionnés avec amour en Europe pour la grande majorité, sérigraphiés et numérotés à la main en France afin d’offrir un savoir-faire et une qualité remarquable.
Une trentaine d’artistes gravitent sur ce navire défricheur de nouveaux talents, explorant de nouveaux horizons, soutenant expositions, festivals et labels émergents.
Pour diffuser leur créativité, un seul étendard : un prisme frappé d’un P, symbolisant la réfraction et la diversité de leurs influences.
Pour faire passer leur message, un seul slogan : Just We Are, en référence à leur attitude sans concession.
Phenüm propose également diverses collections capsule de pièces confectionnées uniquement en France, certaines inévitablement inspirées de son héritage breton.

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Écharpe à franges tricotée en 5 couleurs de fils : marron, bleu roi, beige, blanc et gris clair.
Édition limitée à 25 exemplaires numérotés. Dimensions : 20 x 160 cm
Fabriquée en Europe

Des éclats
Du 8 février au 2 mai 2020, Passerelle, Centre d’art contemporain, Brest

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Photo : © Aurélien Mole.

L’exposition « Des éclats » se déploie dans deux salles à l’étage du centre d’art et mêle installations, sculptures et vidéo, envisagées comme un tout. Fanny Gicquel a souhaité répondre au contexte océanique de Brest en s’inspirant de l’ouvrage poétique Ode Maritime (1915) de Fernando Pessoa, écrivain portugais engagé du début du XXe siècle. De cette poésie en prose, elle a tiré une série de vers sondant le rapport de l’humain à la mer et projetant les notions de départ et de déplacement, tel que « Je veux partir avec vous, partout où vous êtes allés.». Cependant, les messages se retrouvent codés grâce à une technique particulière bien connue des marins : l’alphabet sémaphore, un moyen de communication qui, employant des drapeaux tenus à bout de bras, crypte l’alphabet latin. Les extraits de la poésie deviennent ainsi des « vers sémaphoriques » qui prennent la forme de sculptures, d’un film et de performances activées à des temps définis durant toute la durée de l’exposition. Fanny Gicquel conçoit les salles de Passerelle comme une scène, déroulant des filets semblables à des rideaux de théâtre, colorisant des murs devenant décors, et des sculptures de métal utilisées comme des accessoires par les acteurs. Avec « Des éclats », elle questionne la durabilité de l’événement de la performance et sa subsistance dans une exposition, tout autant que la dimension d’un langage codé qui perd de son sens.
Loïc Le Gall

English : The exhibition entitled ‟Des éclats” [Shards] fills two first-floor rooms in the art centre, combining installations, sculptures and video, and designed to form a whole. Fanny Gicquel wanted to respond to the ocean setting of Brest by taking inspiration from the work of poetry Ode Maritime (1915) by Fernando Pessoa, a Portuguese political writer of the early twentieth century. She has taken from this prose poetry a series of verses imagining the notions of departure and movement, such as ‟I want to go with you, wherever you have been”.But the messages are coded using a technique that is particularly familiar to sailors: the semaphore alphabet, a means of communication using flags held at arm’s length to cipher the Roman alphabet. So the poetry extracts become ‘semaphore verses’ taking the form of sculptures, a film and performances given at predetermined times throughout the duration of the exhibition. Fanny Gicquel imagines the rooms in the Passerelle as a stage, unfurling nets like curtains in a theatre, colouring the walls to create scenery, and with metal sculptures used as props by the actors. With Des éclats, she questions the durability of the performance event and its survival in an exhibition, as much as the dimension of a coded language losing its meaning.
Loïc Le Gall


Liste des œuvres présentées dans l’exposition :
Je veux partir avec vous, partout ou vous êtes allés , 2019-2020
acier, peinture
Je veux partir avec vous, partout ou vous êtes allés est à la fois une sculpture et une partition qui transpose de manière graphique le langage sémaphorique. Ce langage est connu des marins qui codaient l’alphabet avec des drapeaux. Ligne d’horizon dans l’espace, cette sculpture est un appel à la projection et au lointain. Derrière elle, une ligne de pigment bleu humidifié lors de performances s’écoule au rythme de ces dernières.
Le tissus de mes nerfs, 2019-2020
métal, coton, encre
Le tissus de mes nerfs utilise la technique de noeuds propre à la réalisation de filet de pêche. En s’émancipant de la rigidité du procédé, ces deux objets deviennent des écrans brodés, fragiles et aériens.
l’appel confus des eaux, 2019-2020
installation, acier, peinture, Plexiglas, miroir, papier, plâtre, résine, eau
L’appel confus des eaux est une installation composé de plusieurs éléments inspirés par des phénomènes naturels : levé du soleil, réverbération de l’eau et traces de main dans le sable. Semblant en lévitation, les deux sculptures principales produisent des effets de lumières et de reflets. Le Plexiglas cuivré, utilisé dans la fabrication de hublot de navire, permet de voir l’exposition par ce prisme coloré. Par la réflexion de la vidéo dans le recto du miroir noir, les corps et les paysages s’étendent d’un espace à l’autre. Au verso, un collage combine un élément chorégraphique de la vidéo, une agrégation de corps, à des masses rocheuses de Pen-Hir.
Embrassant subitement tout l’horizon maritime, 2019-2020
acier, peinture, feutrine
Embrassant subitement tout l’horizon maritime est une installation composée de deux structures géométriques en acier sur lesquelles reposent « peintures textiles» inspirées des paysages Crozonnais. Ces peintures sont portées comme des costumes lors des performances. L’ensemble est réagencé à chaque activation. La peinture murale tisse un lien entre la couleur de la peau et celle du sable.

L’immensité avec vous, 2020
film, 9’06’’
Assistance technique : Auriane Allaire ; Distribution : Sarah Bellaiche, Tiphaine Dambrin, Naomie Daviaud, Juliette Fanget, Charlotte Gourdin, Nina Krawczyk, Anna Larvor, Martin Routhe, Robin Sarty, Tabea Von-Vivis
L’immensité avec vous est constitué d’une série de plans fixes composés comme des peintures dans le paysage maritime de la presqu’île de Crozon. Plusieurs sculptures présentées dans l’exposition y sont utilisées. Le langage sémaphorique met en relation le corps à la nature. Le son réalisé à partir de respirations humaines rappelle le mouvement des vagues et du vent.

Performances
[le mardi, 19:00 & le 3ème samedi du mois, 15:30]
La performance, composée de plusieurs éléments chorégraphiques, s’articule principalement autour de la traduction de vers extraits du poème Ode Maritime de Fernando Pessoa en langage sémaphorique. Ce langage devient une matière corporelle à même de traduire des vers portant sur le rapport entre le corps et la mer. Un ensemble de mouvements, de gestes et d’actions sont directement inspirés par le poème. Certaines sculptures, comportant un potentiel performatif, sont activées à travers de courts scénarii : port de costumes « peintures textiles », mouvements de rotations et placement spécifique.

Vers extraits de Ode Maritime de Fernando Pessoa réalisés en langage sémaphorique :
Sarah Bellaiche : Délavée par tant d’immensité déversée en ses yeux
Tiphaine Dambrin : Avec la douceur douloureuse qui monte en moi comme une nausée
Naomie Daviaud : Mes désirs enfiévrés crèvent en écume
Juliette Fanget : Le mystère de chaque départ et de chaque arrivée
Charlotte Gourdin : Et le tissus de mes nerfs un filet qui sèche sur la plage
Nina Krawczyk : Ah n’importe comment n’importe où partir
Anna Larvor : Vivre en tremblant l’instant des eaux éternelles
Martin Routhe : De la peur ancestrale de s’éloigner et de partir
Robin Sarty : Toute cette fine séduction s’insinue dans mon sang
Tabea Von-Vivis : Et au fond de moi commence à tourner un volant lentement

Avec la participation d’étudiant.e.s de l’École Européenne Supérieure d’Art de Bretagne – site de Brest

L’âme de fond

« Sous sa forme simple, naturelle, primitive, loin de toute ambition esthétique et de toute métaphysique, la poésie est une joie du souffle, l’évident bonheur de respirer. Le souffle poétique, avant d’être une métaphore, est une réalité qu’on pourrait trouver dans la vie du poème si l’on voulait suivre les leçons de l’imagination matérielle aérienne. » (1)

Du paysage-état d’âme, le romantisme a fait un lieu commun, soumis respectivement à la variabilité des éléments et des sentiments. (É)mus par la force des vagues, paysage marin et âme humaine partagent sans doute une certaine intranquillité (2) et un même sens, in(dé)fini. Plus concrètement, la mer et le corps apparaissent tels des organismes vivants traversés, animés par l’air, élément dont il faut souligner l’essence et la puissance poétiques et cinématiques.

Ces trois entités que sont le corps, la mer et le souffle constituent les piliers de l’exposition de Fanny Gicquel présentée à Passerelle sous la forme d’une installation-vidéo-performance entièrement baignée de poésie. Et pour cause, son principal point d’ancrage n’est autre que le poème Ode maritime signé Álvaro de Campos (1890-1935). Cet ingénieur naval formé à Glasgow est en quelque sorte le dépositaire des impressions maritimes de celui qui a su manier l’art de l’hétéronymie comme personne : l’auteur portugais Fernando Pessoa (3). Jetant un pont entre Lisbonne et Brest, deux villes portuaires tournées vers le grand large, l’artiste s’est en particulier attachée à la première des trois parties de ce long poème en prose dans laquelle l’auteur, observant le Tage qui ouvre vers l’horizon océanique, bercé par le va-et-vient des embarcations et l’imaginaire fertile des départs et des arrivées, livre une approche sensorielle de l’élément marin.

En ont été extraits dix vers dont la présence ambiante dans l’exposition se révèle n’être ni audible ni lisible (4), mais visible et sensible à travers différents médiums — vidéo, sculpture et performance (5) — qui en distillent la version sémaphorique. Quoi de plus naturel en effet qu’un langage marin pour « traduire » ces vers aux reflets bleutés ? Tombé dans la même désuétude que les sémaphores, ces postes d’observation de la marine nationale surplombant mers et océans, ce langage codé consistait en des signaux émis au moyen des bras munis de drapeaux, chaque lettre de l’alphabet latin correspondant à une position spécifique.

À partir de ce langage corporel — et partant, non verbal — à la fois chthonien et aérien (6), Fanny Gicquel a ainsi composé (7) une chorégraphie élémentaire consistant en une série de gestes minimalistes essentiellement articulés autour du souffle, interprétés par plusieurs étudiant.e.s de l’EESAB de Brest (8). Par son mouvement et son rythme binaires — inspiration / expiration —, la respiration rappelle le caractère dual de tant de rituels naturels (ressac et marées, lever et coucher du soleil, jour et nuit, etc.) en même temps qu’elle convoque, tout en l’incorporant, la dialectique du dedans et du dehors (9), tels deux vases communicants.

Tourné en extérieur-jour sur la presqu’île de Crozon, le film Limmensité avec vous consiste en une succession de plans fixes comme autant de tableaux vivants donnant à voir, immergée en pleine nature, la communauté d’interprètes déclamer secrètement les vers choisis d’Ode maritime, manipuler et porter certains objets-accessoires — que l’on (re)trouve dans l’exposition — qui opèrent moins comme signes que comme traits d’union et points de contact entre les corps et le paysage. On oublie le réflexe du sens pour se laisser porter par la sensualité des images, des visages et des gestes, l’énergie communicative des corps et de la nature qui respirent à l’unisson (10). C’est le souffle qui parle, qui s’écoute, s’écoule et s’épanche au-delà de l’espace-temps du film lui-même. La respiration lente et profonde qui en constitue la bande-son apaisante et hypnotique donne son pouls à l’exposition (11) composée sur un mode fragmentaire, voire indiciaire. Lentement, se déploie, pièce par pièce, plan par plan, séquence par séquence, le décor au sein duquel est rejoué — et relu — le paysage poétique, peuplé d’objets et de corps « interactifs ».

Les lignes agencées dans l’espace scénique dessinent un parcours libre, un scénario à voies multiples, un récit visuel diffracté. Face à nous s’étire un horizon trouble : la sculpture en acier Je veux partir avec vous, partout ou vous êtes allés reprend et matérialise le tracé en langage sémaphorique de ce même vers d’Ode maritime. À mesure que l’on s’en approche, on perçoit sur la surface blanche du mur d’infimes larmes bleutées qui viennent « trahir » la présence d’une ligne de pigment bleu dissimulée derrière le trait de métal qui nous rappelle qu’à l’horizon, ciel et mer s’épousent par inframince. Aussi ténues soient-elles, les coulures témoignent d’un geste, d’une action dont on peut remonter le fil : au sol gît une éponge encore humide de l’eau dont elle s’est gonflée, recueillie dans l’empreinte d’une main ayant creusé la matière poreuse d’un bloc de plâtre. Évoquant un élément végétal autant qu’un soleil levant / couchant, un frêle éventail taillé dans un Plexiglas cuivré utilisé dans la fabrication de hublots de bateaux pour protéger de l’éblouissement se dresse à hauteur d’œil, formant un filtre potentiel sur l’exposition-paysage. Arrimé au sol (terre) et au plafond (ciel/air), un miroir noir reflète en l’aplatissant l’espace et ce(ux) qui s’y (re)trouve(nt) : il opère ici tel un liant entre les différentes strates spatio-temporelles de l’exposition, tant du point de vue de sa construction que de son déroulement (12), en même temps qu’il apparaît comme l’interface-clé d’une réflexion sur les notions de présence et de représentation (13). Reprenant librement la technique des nœuds utilisée pour les filets de pêche, Le tissu de mes nerfs consiste en deux rideaux-écrans dont les mailles ondulantes et vibratoires, loin de nous enserrer, font office de seuil flottant. Passé de l’autre côté, devant un mur couleur sable / chair se détache une grille blanche comme dessinée dans l’espace sur laquelle viennent se suspendre quatre manches-drapeaux en feutrine aux couleurs de la presqu’île de Crozon, portées ponctuellement par les interprètes dans le film et lors des différentes activations de la performance au cours de l’exposition (14).

Multipliant les points de vue et les lignes de fuite comme les sens et strates de lecture, traversée de long en large par un souffle commun, « Des éclats » fonctionne par « rebond », associant à la matérialité des objets-œuvres-corps en présence leurs « impressions fugitives » (15) comme pour mieux en amplifier le degré d’ancrage dans le présent et le réel, mais aussi, et surtout, la puissance de (rétro)projection — et de motion — imaginaire et poétique. Offerts à de multiples déplacements, transformations et autres translations spatiales et temporelles, corps, éléments, images, mots, matières, objets, flux et phénomènes (im)perceptibles communiquent silencieusement entre eux et s’animent indéfiniment au gré de leurs multiples correspondances.

Anne-Lou Vicente, avril 2020

1 Gaston Bachelard, Lair et les songes, Essai sur limagination du mouvement, XII « La déclamation muette», Paris, Librairie José Corti, p. 271.

2 En référence à l’œuvre posthume de Fernando Pessoa (sous l’hétéronyme de Bernardo Soares), Le Livre de lintranquillité. Les premiers mots de Jean-Christophe Bailly dans L’Élargissement du poème (Paris, Christian Bourgois, 2015) y font référence, ainsi qu’au paysage-état d’â Voir p. 13 : « Très tôt la leçon du romantisme allemand, tout entière nourrie de la Naturphilosophie de Schelling, a été oubliée, et à la mise en réseau de l’ensemble des existences, qu’elle illustrait par des ricochets et des échos, s’est substituée une version bourgeoise de l’épanchement, dont la célèbre question de Lamartine sur les objets ‘inanimés’ constitue sans doute le point culminant.»

3 En portugais, « pessoa» signifie « personne ». Lire Iooss Filomena, « L’hétéronymie de Fernando Pessoa. Personne et tant d’êtres à la fois », Psychanalyse, 2009/1 (n° 14), p. 113-128 https://www.cairn.info/revue-psychanalyse-2009-1-page-113.htm Voir aussi Jean-Christophe Bailly, cit., p. 163 : « La scène pronominale ne met pas en face les unes des autres des ‘pronominalités’ fixes, elle se dispose comme l’espace d’une sorte de fondu enchaîné permanent où chaque position, tenue un instant par tel être, ne serait qu’une encoche, à la fois sur le chemin de ce qui le compose comme singularité, et sur celui de ce qui l’expose à croiser d’autres singularités, elles-mêmes pareillement engagées dans leur propre composition ».

4 À noter toutefois que les dix vers en question sont renseignés sur l’un des cartels de l’exposition, chaque vers étant associé à l’interprète qui l’a sélectionné. Rappelons-les ici : Délavée par tant d’immensité déversée en ses yeux ; Avec la douceur douloureuse qui monte en moi comme une nausée ; Mes désirs enfiévrés crèvent en écume ; Le mystère de chaque départ et de chaque arrivée ; Et le tissu de mes nerfs un filet qui sèche sur la plage ; Ah n’importe comment n’importe où partir ; Vivre en tremblant l’instant des eaux éternelles ; De la peur ancestrale de s’éloigner et de partir ; Toute cette fine séduction s’insinue dans mon sang ; Et au fond de moi commence à tourner un volant lentement.

5 Si la vidéo est une voie nouvelle empruntée par l’artiste à l’occasion de cette résidence-exposition à Passerelle, sculpture, installation et performance constituent les médiums de prédilection de sa pratique où entrent en jeu la mise en espace et en contact par l’intermédiaire du corps qui (s’)active et (se) déplace, mettant ainsi en relief des notions comme le mouvement, la circulation et l’échange.

6 Les pieds sont au sol et les jambes restent immobiles. Seuls les bras bougent et brassent l’air. La position verticale souligne la « colonne d’air » qui traverse la partie supérieure du corps.

7 Précisons que traduction et composition vont ici de pair avec une certaine marge d’interprétation et d’improvisation, tant sur le plan de l’écriture que de la performance.

8 Au sujet de cette collaboration avec les étudiant.e.s et plus largement, le déroulement de la résidence, lire l’entretien http://www.leschantiers-residence.com/fanny-gicquel/

9 Une dialectique déjà à l’œuvre dans la notion de paysage-état d’âme. Lire Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, 1957, Paris, Quadrige PUF (6e édition, 1994), chap. IX, p. 191-207. « L’en-deçà et l’au-delà répètent sourdement la dialectique du dedans et du dehors : tout se dessine, même l’infini », p. 192.

10 Notons ici l’importance du toucher. L’analogie entre corps et paysage/nature confine ici à leur « fusion» qu’illustre symboliquement le collage visible au verso du miroir présent dans l’espace d’exposition, qui combine les contours d’une masse de corps solidaires (visible dans la vidéo et répétée lors de la performance) à la matière des roches de la pointe de Pen-Hir, dans la presqu’île de Crozon.

11 Il convient de préciser que le film, s’il est partiellement visible et audible par le visiteur dès son arrivée — de manière directe bien que lointaine, mais aussi par « ricochet» via son reflet dans le miroir présent dans la première salle —, est présenté au fond de la deuxième salle.

12 Ces strates, poreuses voire entremêlées, pourraient être celles que forment, sans ordre arrêté, le film, l’exposition et la performance. Activée tous les mardi à 19h et le troisième samedi du mois à 15h30, la performance réintroduit physiquement dans l’espace d’exposition les corps (re)présent(é)s en continu via/dans le film. En les reflétant, le miroir les embrasse en une même image-temps dans laquelle notre propre corps peut se faire une place.

13 Les différents sens connus de représentation incluent ici celui, littéral, de remettre au présent.

14 On pense immanquablement à l’œuvre conçu par l’artiste allemand Franz Erhard Walther dès les années 1960, entre soft sculpture post-minimaliste, vêtement et rituel performatif. http://i-ac.eu/fr/artistes/1241_franz-erhard-walther

15 Voir Clément Rosset, Impressions fugitives. Lombre, le reflet, l’écho, Paris, Minuit, 2004.

Portrait vidéo de Fanny Gicquel réalisé pendant la résidence des Chantiers de novembre 2019 à février 2020.

Réalisation : Margaux Germain pour Documents d’Artistes Bretagne
© Passerelle Centre d’Art contemporain et Documents d’Artistes Bretagne, Brest 2020.

Entretien d’artiste – Fanny Gicquel

L’artiste rennaise, Fanny Gicquel, est actuellement au cœur d’une exposition au centre d’art contemporain Passerelle de Brest qui conclut une période de résidence de trois mois pour Les Chantiers-résidence en partenariat avec Documents D’Artistes Bretagne. Familière aux pratiques de l’installation activée dans le cadre d’action performée, Fanny est attachée à des questionnements d’ordre esthétique et artistique sur les langages non verbaux, l’importance du geste performatif et sur le corps comme prolongement de l’objet sculptural qui sont aujourd’hui l’objet de son exposition Des éclats. Questionner la pratique de Fanny Gicquel au prisme de la résidence artistique nous paraît essentielle à une meilleure compréhension de ce format, aujourd’hui incontournable, du système de création et de promotion de la création contemporaine. En outre, cet entretien est aussi l’occasion de parler du développement et de l’évolution de sa démarche plastique et théorique au sein des Chantiers-résidence.

P. R. : Tu finalises ces dernières semaines ta première exposition individuelle au Centre d’art Passerelle de Brest, ainsi que la fin de ta période de résidence Les Chantiers. La résidence apparaît pour l’artiste en général comme un moment donné privilégié pour la constitution d’une production plastique expérimentale en dehors d’un cadre mercantile ou d’une situation souvent précaire. Au regard des différentes discussions que nous avons eues ensemble, je me souviens que tu portais beaucoup d’importance à ce temps privilégié de résidence. Pourrais-tu le définir en quelques phrases ?

F. G. : Selon moi, le temps de la résidence est un moment qui permet à l’artiste de pouvoir s’immerger totalement dans sa production. Pour ma part, cette période a été vraiment foisonnante et révélatrice durant ses plusieurs mois. Lorsque j’ai postulé j’avais justement mentionné la nécessité de pouvoir avoir un temps consacré uniquement à ma pratique. J’alternais à la fois entre le job alimentaire, le temps d’atelier, les différents projets à droite et à gauche, etc. mais tout çà était trop fragmenté, trop divisé, pour pouvoir vraiment se sentir complètement plongé dans le présent. Je ressentais que cette diffraction du temps m’empêchait d’être bien dans mon travail. Le temps de résidence au contraire est un moment ou on stoppe le quotidien et où on se délocalise de chez soi pour se consacrer entièrement à un projet. C’est un dispositif pour pouvoir être entièrement dans son travail plastique et se questionner d’un point de vue aussi bien artistique, physique que théorique. Personnellement, j’ai voulu que cette immersion soit totale ; quand je rentrais le soir je continuais à lire, à prendre des notes pour nourrir mon travail un peu plus théorique et documentaire.

P. R. : Je crois que tu portais beaucoup d’intérêt à la résidence de Passerelle car justement elle était centrée sur un seul artiste qui porte un projet d’exposition solo et  quelque chose de non collectif.

F. G. : C’est vrai car c’est ma première exposition personnelle. Quand on est en collectif on pense ce que l’on fait en fonction des autres, dans le sens où on fait un accrochage commun qui n’a du sens que collectivement. C’est certes plus convivial, mais être seule oblige à gérer tout l’ensemble, c’est finalement beaucoup plus professionnalisant.

P. R. : Tu es sortie diplômée de l’École des beaux-arts de Rennes, il y a maintenant deux ans. Comment distinguerais-tu ce moment d’apprentissage et d’expérimentation de la résidence à celui plus pédagogique de l’école ?  

F. G. : J‘ai été diplômée en juin 2018 des beaux-arts de Rennes, où j’ai eu mon DNSEP. C’est vrai qu’on retrouve ce temps d’immersion commun. Quand on est dans l’école on est également très immergé mais, à la différence, on est plus dans une forme de processus d’apprentissage. Toutefois, je pourrais faire un pont entre l’idée d’une construction d’une méthodologie de travail, qu’on commence à mettre en place doucement à l’école, et le travail de résidence. Quand j’étais à Passerelle, j’ai repensé à ma pièce que j’ai réalisée pour mon DNSEP, Reserv Slash (2018) dans la mesure où j’ai pu retravailler sur le modèle proposé au niveau de la méthodologie et de la construction de la performance entre chorégraphie et improvisation. Quand on est à l’école il y a beaucoup de justification à faire et ce n’est pas toujours une communication horizontale. Les professeurs, même s’ils nous sont très proches, peuvent avoir une supériorité hiérarchique, une sorte de « dominance » sur l’élève qui attend son aval. Quand je suis aux Chantiers j’ai vraiment cette impression qu’on me parle d’égal à égal, l’impression d’être davantage considéré en tant qu’artiste. C’est aussi quelque chose  qui permet de mettre en confiance, qui professionnalise et qui te fait dire : « Ok là il faut que j’assume,. Je ne suis plus sous couvert d’être étudiante et je ne peux plus faire les erreurs qu’une étudiante peut faire. Je suis une jeune artiste confirmée par un système qui me valide et j’ai une responsabilité vis-à-vis de ce que je propose ». C’est la différence avec l’école qui reste un microsystème dans un microsystème qui est celui du monde de l’art. Quand on est à l’école il y a ce truc ou il faut se prendre un peu au sérieux, presque un jeu de rôle. On parle un peu comme si on était déjà artistes, mais les professeurs savent très bien pertinemment, et nous aussi inconsciemment, qu’on verra réellement à la sortie entre ceux qui vont arrêter par défaut ou par choix, et ceux qui vont continuer et combien de temps ça va prendre. Ca met du temps pour réaliser un projet et je suis encore loin d’en avoir trouvé toutes les clés.

P. R. : Quelles ont été tes attentes vis-à-vis de cette période de résidence, sur le pan artistique, professionnel et social ?

F. G. : C’est intéressant comme question car je ne sais pas si j’avais réellement des attentes. J’ai l’impression qu’une attente est quelque chose qui doit automatiquement être comblée. On pourrait plutôt dire que j’avais une sorte d’espoir. Je me suis dis que j’allais arriver là bas et que j’aurai un temps que pour moi où je serai « indisponible » pour le reste. Cette forme d’indisponibilité qui fait qu’on est beaucoup plus disponible pour sa création. C’était assez agréable comme sensation. J’étais juste heureuse et je savais que c’était le bon moment. C’était bien que je me délocalise et que j’aille voir autre chose. Après, mon attente était de bien m’entendre avec l’ensemble de l’équipe, c’est la chose à la fois sociale et professionnelle. J’espérais assez naïvement que tout le monde serait gentil et sympa et ce fut le cas. Il y avait une certaine attente économique, vécu comme une forme de soulagement dans la mesure où je savais que j’avais un budget de production, j’avais des règlements d’honoraires de travail. Ca me permettait de suspendre ces questions économiques qui sont très conséquentes en tant que jeune artiste. Une forme d’excitation de me dire qu’on allait pouvoir faire des choses avec un budget sans devoir compter chaque euro. Mon attente était aussi de gagner en maturité, quelle soit humaine mais aussi en maturité professionnelle, c’est quelque chose qui s’est mis en place très naturellement.

P. R. : D’un point de vue sociologique, la résidence d’artistes serait un lieu prioritaire dans la constitution d’un réseau professionnel adapté à la poursuite d’une carrière dans le domaine artistique et serait un vecteur d’échanges théoriques et sociaux entre différents acteurs d’un monde de l’art (artistes, commissaires d’exposition, assistants de réalisation, étudiants en art, critiques d’art, etc.)[1]. J’aimerais avoir ton retour d’expérience sur cet aspect là de la résidence ou plus précisément sur les opportunités qu’elle a pu t’apporter dans la mise en place d’un réseau ou dans la reconnaissance d’artiste immergeant.

F. G. : J’ai pris conscience de cette sociologie, de ce microcosme de l’art et de cette importance du réseau durant la résidence. Le Chantiers-résidence est mené par Documents d’artistes Bretagne qui ont leurs locaux dans Passerelle. Ils ont un réseau important puisque ce sont eux qui relaient les artistes et les événements sur tout le territoire breton et qui vont les répertorier et archiver leur travail. C’est une plateforme-site qui permet de créer un  réseau entre artistes et qui offre une certaine visibilité[2]. Il y a également avec Les Chantiers-Résidence un autre site internet qui est un support de communication réservée à la médiation de la production et du working progress du projet de chaque résident invité et qui prend la forme d’un journal de la résidence[3]. Cette question du réseau elle se joue en partie là puisque Documents d’artistes Bretagne m’ont accompagnée sur plusieurs points. Par exemple, j’ai pu rencontrer Chrysalide qui est une association qui explique comment fonctionne tout ce qui est administratif et économique du point de vue de l’artiste[4]. J’ai également été invitée par Sylvie Ungauer, professeure de l’EESAB de Brest et spécialisée dans la performance, à réaliser une conférence. Il y a une forme de légitimité en tant que jeune artiste qui est apportée par la résidence de Passerelle, par l’exposition qui en découle, par le réseau professionnel qu’elle a pu m’apporter.

P. R. Tu as été je crois très attachée durant cette période aux échanges avec toute l’équipe de Passerelle, plus particulièrement avec l’équipe de production et avec Loïc Le Gall, directeur et commissaire d’exposition du centre d’art. Pourrais-tu revenir sur l’importance de ces échanges dans la mise en place d’un projet et la production d’une exposition ? 

F. G. : J’ai pu travailler avec Jean-Christophe Primel, qui est le régisseur technicien, avec qui  j’ai passé beaucoup de temps. Ma rencontre avec lui a été quelque chose de déterminant parce que son savoir technique et aussi artistique allait pouvoir m’éclairer. J’avais également vraiment hâte de rencontrer Loïc Le Gall, le nouveau directeur de Passerelle, pour qu’on puisse avoir ensemble une discussion. C’était un échange fluide et spontané et il m’a beaucoup apporté sur la question de l’accrochage, de part son regard très fin sur ces questions qu’on n’a pas forcément pour son propre travail, tout en me laissant une grand autonomie. J’ai été dans un processus de communication avec Loïc car je lui présentais des débuts de projet de pièces d’installation après les avoirs pensées avec Jean-Christophe sur le plan technique. Dans mon travail, la technique vient directement influencer l’aspect artistique. J’ai beaucoup aimé cet aller-retour entre Loïc, Jean-Christophe et moi, pouvoir discuter tout les trois dans les espaces et j’ai tenu compte de ce qu’ils m’ont dit. Pour la production de pièces, j’ai été aussi mise en réseau, par Jean Christophe, avec une équipe comme le Labfab de Brest ou avec des entreprises de plexiglass ou de miroiterie. Grâce à lui on pouvait aller voir directement les fournisseurs et être en contact avec eux de manière directe. L’œuvre a une sorte de circuit, une sorte de boucle, et elle est chargée par le contact des gens qu’elle a pu rencontrer durant sa production. Ca reste un souvenir très marquant d’être dans ce type d’échange. Je sens que ça m’a permis de prendre confiance en moi car ça m’a obligée à porter des choses qui étaient plus fragiles avant.

P. R. : Ton temps de résidence a été consacré majoritairement au développement d’une nouvelle création plastique spécifique au site de Passerelle qui va faire l’objet d’une exposition. Ton point de départ a été ton intérêt pour le contexte maritime de la ville de Brest que tu as rapproché du poème Ode Maritime de Fernando Pessoa. Pourrais-tu revenir plus en détail sur cet intérêt pour le climat brestois et sur l’œuvre poétique de cet auteur portugais du siècle dernier.

F. G. : Le climat brestois est à prendre en compte dans mon expérience de la résidence car Brest est une ville assez intense. Il y a un peu un esprit de combativité ambiant, c’est-à-dire qu’on est toujours en lutte avec le temps, que se soit le vent ou la pluie qui sont des éléments très puissants. Il y a également, à Brest, une sensation d’extrémité de part cette mer qui rentre partout dans la ville comme une sorte de collage. On a l’impression d’être sur le bout de quelque chose. Quand j’ai postulé pour l’appel à candidature j’ai fait un rapprochement entre Fernando Pessoa et la situation géographique de Brest. Le poème Ode Maritime est divisé en trois parties ; il traite en général du rapport de l’homme à la mer mais avec une première partie qui est axée sur les sensations, une deuxième sur des thématiques propres à la barbarie et la piraterie et une troisième qui est plutôt liée à l’industrialisation du port et du commerce maritime. C’est un poème qui a été écrit par un des hétéronymes le plus proche de Fernando Pessoa qui est Álvaro de Campos. Ce qui m’intéressait avec ce poète c’est justement ces questions d’identités multiples, des choses qui se présentent doubles, qui sont plus complexes qu’elles en ont l’air. Je faisais ce rapprochement avec l’activation d’objets performés où il y a des choses qui semblent telles qu’elles mais qui vont se transformer. J’aime bien cette idée de transformation des choses qui finalement ne reste pas unifié ou ne se présente pas d’une seule manière.

P. R. : Tu as toujours eu beaucoup d’intérêt pour les moyens de communications non verbales et l’écriture du mouvement qui, dans ton travail, prennent régulièrement l’aspect de matériaux chorégraphiques. Dans le cadre de cette résidence, tu es partie de l’alphabet sémaphorique, une communication visuelle utilisée en mer par les navires ou sur terre par les responsables de phare. Pourrais-tu revenir sur cet intérêt de manière générale pour les communications non écrites et plus particulièrement pour le langage sémaphorique ?

F. G. : J’ai voulue parler du poème de Pessoa et trouver une manière de le traduire et pour ça j’ai fait appel au langage sémaphorique. C’est un langage utilisé, à l’époque, par les marins pour communiquer d’un bateau à un autre ou d’un bateau à la terre. A l’origine, il prend la forme d’un alphabet latin et chaque lettre est traduite par un geste qui est effectué avec des drapeaux à bout de bras. Ça constituait une matière chorégraphique très forte qui utilise les bras qui est, en tout cas pour moi, un axe social important. C’est intéressant de pouvoir traduire ce poème qui parle du corps avec un langage qui est celui du corps. Il y avait ce rapprochement entre le mot passé sous silence mais pourtant effectué par un vrai langage corporel et la désuétude de ce langage tombé dans l’oubli. Il y a quelque chose de nostalgique dans ma démarche qui va venir le réactiver, le réanimer, mais pour mettre en avant une parole qui est celle de la sensation de mer, de la sensation du corps par rapport à la mer. Ca questionne ce pouvoir du langage non verbal qui constitue une autre manière de communiquer. Et je pense que cette communication est très visible quand on voit les performeurs effectuer ces gestes. Ces différents éléments dont j’ai parlé, que ce soit Ode Maritime ou encore le langage sémaphorique, ont constitué une sorte de matière première pour mon travail que j’ai voulu amplifier. Mais comment faire, avec tous ces éléments, une matière solide « originale », sans être dans une simple démarche de transposition qui risquerait d’être seulement liée au texte ou à une simple chorégraphie ? J’ai essayé de tisser des liens entre les choses dans une démarche que je rapproche souvent de la composition en musique ou du montage de film. J’ai commencé à trouver d’autres pistes de travail, concernant ma méthodologie, notamment dans un texte qui m’a marqué, Bleuets de Maggie Nelson, une essayiste théoricienne féministe américaine. Son ouvrage est dédié à son amour pour la couleur bleue qu’elle rapproche du sentiment de deuil amoureux ou d’autre ressenti émotionnel. Une sorte de maïeutique entre des références à la fois très scientifiques et d’autres qui sont plutôt de l’ordre de l’intuition. Ces références sont nivelées à travers un processus numéroté, du numéro 1 au 240, et forme un ensemble de textes très courts rassemblés dans ce recueil. Cette façon de travailler, de tisser des liens, de revenir entre les choses, de créer des ponts, constitue une méthode de travail. Tous ces éléments sont des indices qui ne sont pas forcément à comprendre dans un sens littéral, une réactivation de ce geste et de ce langage qu’il faudrait essayer de lire, mais plutôt comme des formes de couches d’une matière foisonnante d’expérimentation liée à la performance et qui sont des choses différentes de ce que j’avais pu faire jusque ici.

P. R. : Une partie de ton travail durant la résidence fut consacré aux discussions avec des jeunes artistes de l’Ecole des beaux-arts de Brest que tu as du former au langage sémaphorique, notamment dans la cadre d’un Workshop. Tu leur donnais la possibilité d’intervenir sur ton objet d’expérimentation par la sélection de dix vers du poème de Pessoa. Pourquoi avoir faits le choix du collectif pour t’accompagner dans ton projet ?

F. G. : Sur ces questions là, j’avais aussi envie de faire appel à des performeurs et étudiants de l’Ecole de beaux-arts de Brest. Je leur ai proposé le projet et donc certains se sont lancés dans cette aventure avec moi. On est donc une dizaine à avoir travaillé autour de ce langage sémaphorique que je leur ai transmis. Ils ont choisi chacun un vers du texte parmi une sélection d’une soixantaine que j’avais pu faire en amont sur la première partie du poème. Cette participation active de leur part a donné tout de suite une nouvelle indication sur la performance et sur ce qu’elle raconte. A l’entrée du lieu de l’exposition, un cartel mentionne le prénom de chaque performeur, avec le vers qu’il a choisi, pour permettre de donner une indication sur la narrativité de l’exposition. J’ai fait un Workshop d’une semaine avec les étudiants des beaux-arts qui travaillent avec moi où on a mis en place également le scénario d’une vidéo que j’ai réalisée à Crozon avec mon amie, Auriane Allaire.

P. R. : Durand une discussion antérieure, tu m’avais parlé de ton admiration pour le cinéma de Robert Bresson, plus particulièrement de ta fascination pour une certaine gestualité singulière propre aux « modèles » non professionnels développés volontairement par le metteur en scène. Au regard de ta production actuelle, j’ai pu observer qu’il y avait un écho important entre l’intention toute particulière de Bresson sur des gestes propres à chacun et les individualités de personnes que tu fait intervenir dans tes actions performées comme Reserv Slasch (2018) ou Aquaria Times (2019).

F. G. : Chez Bresson, ce qui m’a intéressé c’est qu’il faisait appel à des modèles non professionnels qui étaient en dehors de normes liées à une professionnalisation. J’ai fait ce rapprochement là entre ce réalisateur et des personnalités du monde de la danse qui avait participé à cette tendance de la Judson Dance Theater, tel qu’Anna Halprin ou Yvonne Rainer. Ces chorégraphes ont mis place, dans les années 1960-1970, de nouvelles méthodologies de travail autour d’actions réalisées qui se suffissent comme représentations autonomes de la danse et qui vont, du coup, venir casser la notion de virtuosité. Elles vont travailler à partir d’exercices simples comme « se baisser » et qui va devenir une règle que chaque danseur va pouvoir s’approprier à sa manière, dans la limite de sa propre corporalité. Il y a cette action, son résultat qui est mis en jeu et non plus seulement une attende esthétique du geste. Chez Robert Bresson c’est pareil : quand il fait appel à des modèles non professionnels, il fait appel à leur propre gestualité. Concernant sa méthodologie de travail, il va donner une trame narrative mais va laisser une grande place d’improvisation au langage. Il y a quelque chose de touchant dans cette démarche et on voit bien que ces non-acteurs donnent l’impression de vivre réellement la situation. Les modèles de Bresson effectuent des choses telles qu’elles sont et pour ce qu’elles sont, sans faire mine de le faire. J’ai essayé de faire ce rapprochement entre ces différentes démarches artistiques et mon travail car ça permettait de niveler les différentes « qualités » du geste. Pour moi, c’est quelque chose d’important et j’essaie de rapprocher des corporalités qui appartiennent chacune à des attitudes qui leurs sont propres et qui ne doivent pas être trop lissées. Il faut seulement les lisser pour trouver une qualité de geste commune à tous pour que personne ne prennent la dominance sur l’autre. Mais travailler à partir de ce que me donnent les performeurs, c’est beaucoup plus intéressant. Par exemple je vais mettre en place de petites méthodologies de travail autour d’actions proche des règles de jeux, qui permettent de créer quelque chose de plus vivant et de plus improvisé. Toutes les activations sont ultra chorégraphiées mais, par contre, je ne sais pas exactement à quel moment ils vont les faire et ni qui va les faire. On voit que c’est à la fois un geste maitrisé qui n’a pas été fait n’importe comment mais qui laisse quelque chose de l’ordre de l’improvisation qui ne permet pas une maitrise totale. Une échappé de la maîtrise qui oblige chacun à être au aguets vis-à-vis de l’autre. Je trouve ça bien de ramener de la vraie vie et essayer de briser la représentation car, finalement, on n’imite pas quelque chose mais juste on le vit à ce moment là et on le présente tel quel. Je préfère travailler avec ces règles qui ont une plasticité et une souplesse même, si en amont, il a fallu énormément de travail. Je trouve ainsi qu’on arrive à présenter davantage d’humanité et de personnalité. C’est aussi la rencontre des individualités entre elles qui forme le groupe de performeurs et qui apporte une énergie particulière à l’ensemble de la performance.

P. R. : Dans chacune de tes performances, il y a un souci évident de mise en scène de l’action, souvent de manière très dramatique et cinématographique, qui passe par l’accessoirisassion du corps des performeurs. Je pense évidemment aux différents objets ou instruments actionnés mais également à l’importance que tu portes aux vêtements. Je sais que le film de Philippe Garrel, La cicatrice intérieure (1972), t’a particulièrement marqué. Pourrais-tu revenir sur ces questions de mise en scène et sur l’influence du cinéma et du théâtre dans ta performance ?

F. G. : La cicatrice intérieure à été une référence de travail importante durant ma résidence. J’ai adoré dans ce film la question du déplacement, de la marche et de la traversée des espaces. Il y a juste cette caméra qui tourne autours des personnages et qui questionne le voyage et le déplacement. Garrel a tourné dans des lieux magnifiques désertiques inhabités par l’homme qui sont de ce fait vides, très étendus dans l’espace et semblent finalement irréels. C’est également un film basé sur des dialogues improvisés. Il n’y a que Nico qui « monologue » en français, en anglais et en allemand. Il n’est pas question de narration au sens où il faudrait comprendre ce qui est dit mais plutôt contempler une matière poétique et métaphorique qui essaye de nous toucher par un aspect plus sensible. C’est ce qui m’a inspiré pour la réalisation de ma vidéo L’immensité avec vous.  Quand à la question de la mis en scène et de la scénographie, elle est essentielle dans ma démarche. Mes installations incluent déjà la mise en scène puisque, souvent, rien que par leur dispositif, elles imposent une disposition du corps qui contraint à une certaine traversée des espaces. Elles incluent finalement une certaine chorégraphie. J’essaye de voir régulièrement des spectacles de danse, de théâtre et je me renseigne sur ces disciplines. Passerelle La résidence m’a aidé à approfondir cette méthodologie de travail qui consiste à m’entourer de tout ce qui peut me « nourrir » mais sans forcément le traiter comme des informations ou des sources premières. Toute de suite, j’ai fait le rapprochement entre La cicatrice intérieure, les paysages de Crozon et Bluets de Maggie Nelson où il y a, à la fois, des ruptures, des retrouvailles et des solitudes. A Crozon, quand je visitais ces paysages, j’étais très seule physiquement au milieu de grands espaces isolés, quasiment désertiques et étendus vers la mer. J’étais dans un rapprochement plastique avec des scènes du film que j’avais vues durant l’été et qui m’avaient marquées. Mon rapport à la mise en scène est finalement presque directement mon rapport à l’art, dans la mesure où je ne fais pas de distinction entre les deux. C’est  pour moi les mêmes questionnements autour de ce qui est faux et de qui vrai, de ce qui est réel ou de ce qui est fictif.

P. R. : Passé par un support audiovisuel est une nouveauté dans ton travail. Définiras-tu la vidéo comme une trace, un moyen de pérennisation de l’action éphémère de la performance dans un souci d’archivage et de diffusion ou comme un objet artistique singulier et indépendant ?

F. G. : Rapidement, quand je suis arrivé à Brest, je savais que je voulais faire une vidéo. C’était un medium que je n’avais pas trop questionné jusqu’ici, à part en tant qu’archives vidéo. Mais pourtant, ces archives de performance, par le traitement que je leur donnais, devenaient des objets autonomes. Je me suis alors demandé comment faire, dans cette continuité, une pièce vidéo indépendante. Je suis allée à Crozon faire du repérage et ça m’a permis de découvrir un autre visage de Brest. C’est donc tout ce qui fait partie du Parc naturel régional d’Armorique qui est protégé. C’est un lieu hyper dépaysant ; on passe d’un paysage à l’autre, sans trop s’y attendre, et avec des couleurs à la fois très rousses et très argentées. C’est juste magnifique ! J’ai fait une sélection de paysages dans lesquels on a pu réaliser cette vidéo. C’est durant le dernier jour du workshop avec les étudiants et Auriane qu’on est parti là bas pour y tourner l’ensemble du film qui sera projeté dans une des salles de l’exposition. C’est vraiment un objet filmique indépendant. Ce que l’on découvre dans la vidéo on ne le verra pas de la même manière dans la performance. On retrouve évidement l’activation du langage sémaphorique mais tous les cadrages présents dans le film on été pensés en plans fixes, comme pour un tableau. Ces plans fixes sont juxtaposés les uns aux autres et forment des peintures avec des entrées et des sorties mais de manière non narrative. Ces différents tableaux filmés sont travaillés justement plastiquement autours des questions de couleurs qui découlent du « déroulé » de la journée. C’est assez similaire avec ce que l’on trouve dans mon travail de performance : un ensemble de petits morceaux qui sont comme montés et collés les uns aux autres mais sans forcément avoir un lien logique entre eux. Il y a une logique et un sens, certes, mais différent. Ces plans juxtaposés m’ont également donné envie de travailler l’espace de l’exposition de la même manière. On peut presque dérouler l’exposition en longeant les murs puisque l’on retrouve un grand espace vide au milieu pour laisser place au corps des performeurs ou du spectateur. On rentre dans l’espace et on se retrouve face à ce grand vers sémaphorique en métal ; à coté, il y a les premières installations et ensuite les rideaux ainsi qu’une sorte de miroir où se reflète la vidéo. Quand on rentre dans le deuxième espace, on retrouve un grand plan avec un mur beige et deux structures sur lesquelles reposent les costumes-peintures qui peuvent également être activées. Enfin sur le dernier mur est projetée la vidéo. Tout est fait par plan comme pour le film en utilisant tout l’espace des murs et ce, de manière déployée.

P. R. : Tu exposes à Brest en même temps que l’artiste brésilien vidéaste Luiz Roque qui travaille plus particulièrement sur des thématiques propres au queer et au genre. Un parallèle entre vos deux pratiques artistiques pourrait-il être fait ?

F. G. : Durant nos deux expositions, Luiz Roque présente également plusieurs films ; le parallèle peut être fait ici, j’imagine. Plusieurs membres de l’équipe de Passerelle m’ont également fait remarquer qu’ils trouvaient que nos deux expositions dialoguaient bien ensemble. On y retrouve des formes et des pièces épurées et géométriques. Luiz a notamment utilisé le rond et le carré dans ses formats de vidéo. Je trouve que, plastiquement, il y a aussi une ambiance similaire et un peu étrange entre le mystique et le sacré qui nous rapproche. Dans l’ensemble de mon installation, il y a un bruit de souffle, d’inspiration et d’expiration, qui imite le bruit de la mer. Je pense que, chez Luiz, il y a cette intention portée sur le corps de manière très directe avec un intérêt pour des corporalités différentes notamment celui du corps trans. Finalement la question du corps est ultra présente dans nos différents travaux bien que ce soit traité différemment.

P. R. : Et si tu m’aidais à conclure notre discussion en me citant un vers qui te porte tiré  d’Ode Maritime de Fernando Pessoa…

F. G. : Je vais citer le vers présent dans l’espace de l’exposition traduit en langage sémaphorique sous la forme d’un grand vers en métal :

« Je veux partir avec vous partout où vous êtes allés !».

Entretien réalisé entre Pierre Ruault et Fanny Gicquel le 9 mars 2020 pour le site Point Contemporain. Le texte a été lu, corrigé et validé par l’artiste avant sa publication.

[1]  « Un monde de l’art se compose de toutes les personnes dont les activités sont nécessaire à la production des œuvres bien particulières que ces monde-là (et d’autres éventuellement) définit comme de l’art. Des membres d’un monde de l’art coordonnent les activités axées sur la production de l’œuvre en s’en rapportant à un ensemble de schémas conventionnels incorporés à la pratique courante et aux objets les plus usuels. Les mêmes personnes coopèrent souvent de manière régulière, voire routinière, de sorte qu’un monde de l’art se présente comme un réseau de chaînes de coopération qui relient les participants selon un ordre établi », in Howard S. Becker, Les Mondes de l’art, Paris, Flammarion, coll. Champs arts, série Art, Historique et société, 2010 (1982), p. 58-59.
[2] Référence vers le site de Documents d’artistes Bretagne : http://ddab.org/fr/
[3] Référence vers le journal de résidence de Fanny Gicquel : http://www.leschantiers-residence.com/fanny-gicquel/
[4] Référence vers le site l’association : https://www.cae29.coop/chrysalide-structure-accreditee.html


Des corps dans un sablier

Fanny Gicquel inscrit l’action de ses performances dans un temps qui joue d’une temporalité ambiguë pour nous rendre attentifs aux gestes présents ou à ceux déjà passés. Aucun indicateur ne nous indique la chronologie des actions et ces dernières peuvent se répéter de manière aléatoire. Ce faisant, elles en suspendent le déroulé et deviennent des motifs dont l’apparition, cyclique ou non, tend à faire du temps le premier percept dans le travail de l’artiste. S’il est question de tension entre mobilité et immobilité, ce temps étiré étant nécessaire à la création d’une image et propre aux tableaux vivants, d’autres niveaux de lecture s’offrent à nous. C’est dans un espace physique précis que se déploie les performances. Non seulement celui de l’exposition, qui offre une déambulation précise, mais surtout celui dessiné par les oeuvres. Il y est question d’espace dans l’espace, de structures invitant les corps à se mouvoir, autant que de sculptures
convoquant des gestes précis et particuliers. Leurs formes présupposent instinctivement les interactions possibles. Elles portent en elles leurs scénarios d’activation voire d’habitation. D’une performance à l’autre, les matériaux utilisés se répondent et élaborent un vocabulaire formel identifiable. Certains objets, d’aspect industriel, dans la continuité du minimalisme, cohabitent avec une pluralité d’objets plus fragiles. Ils ont toutefois en commun d’être tous réalisés à la main. Ces formes, déplacées par les corps, sont pensées comme des prolongements animés de l’inanimé. L’objet n’est pas mis en action par le corps, il le complète et inversement, le corps est complété par l’objet. Il est plus question de relation autonome complémentaire et cette méthode de travail développe une sociologie du geste spécifique. Il en va de la même interrelation pour les interprètes. Ce ne sont pas les corps qui font action mais les actions qui font corps. Les gestes opèrent au profit d’une unité supérieure à leurs particularités. Ils exécutent ce que l’on sait être une écriture mais on hésite parfois entre chorégraphie et improvisation avant de comprendre que la liberté donnée aux interprètes est intrinsèque à la chorégraphie. Silencieux dans leurs déplacements, muets dans leur communication, les gestes des performeurs pallient au langage. Ils inventent un dialogue et révèlent les insuffisances ou les dysfonctionnements du langage habituel. Il serait plus juste de parler de moment suspendu, d’un temps partagé plus poétique. Le choix de vêtements simples, de physiques variés et ordinaires contribuent à cette idée générale de communauté à travers une identification possible. Le rapport immersif n’est plus seulement celui d’une oeuvre qui environne le spectateur mais au contraire d’une oeuvre qui serait déjà composée de nous même. N’étant pas, a proprement parler, interprète de la performance, ce sont ces derniers qui nous ramènent à la réalité. Ils sont les véritables unités du temps, comme autant de grain de sable qui s’écoulent. On peut alors parler de corps dans un sablier.

Vincent-Michaël Vallet, 2020


Née en 1992, Vit et travaille à Rennes

En résidence de novembre 2019 à janvier 2020

Sites internet de l’artiste : https://www.fannygicquel.com/
> http://base.ddab.org/fanny-gicquel

J’élabore des environnements à l’intérieur desquels j’expérimente la présence du vivant et plus précisément du corps dans l’espace et le temps de l’exposition. Mes projets sculpturaux portent en eux un scénario d’activation, voir d’habitation tout en conservant leur autonomie plastique.

À travers la lenteur et l’immobilité, mes performances invitent au ralentissement et à la contemplation jusqu’à créer des images proches du tableau vivant, produisant une atmosphère particulière, poétique, tendue, parfois abstraite et incertaine. En travaillant avec le temps et l’espace comme une matière que les corps viennent sculpter, j’essaye de créer une nouvelle syntaxe qui interrogent nos modes de relation, de communication et notre promiscuité contemporaine.

Différentes modalités d’apparitions me permettent de créer des situations qui interrogent et révèlent une porosité,une ambiguïté entre l’intime et l’impersonnel, l’intériorité et l’extériorité, la réalité et le rêve, la douceur et la violence, la retenue et la libération. Le geste pensé comme un prolongement sculptural est un moyen d’échapper à une forme définitive de monstration des œuvres. Dans ce potentiel de transformation, l’œuvre existe en deux temps, permettant alors d’explorer le rapport entre l’animé et l’inanimé, l’espace-temps pendant et après l’action.

«Les gestes, les mimiques, les postures, les déplacements expriment des émotions, accomplissent des actes, soulignent un propos ou le nuance, ils manifestent en permanence du sens pour soi et pour les autres.»1. C’est à travers ces mots que j’entrevois une pratique chorégraphique, comme une tentative de résonance qui se déploie par des moyens de communication non-verbaux et des systèmes d’interactions entre le corps et l’objet. Les formes performatives développées prennent l’aspect de miniatures-chorégraphique et d’activation d’objets précises tandis que leur intrication les unes par rapports aux autres se veut fluide, souvent improvisée et en constante négociation avec l’espace. Écriture chorégraphique et improvisation s’interpénètrent constamment et constituent une énergie centrale de mon travail.

1 David Le Breton, les passions ordinaires.